Dossier

Futur gouvernement  : Incertitude sur le choix du Premier ministre ?

De quel bord devrait être le futur le Premier ministre du Burkina? De l’opposition ou du camp du président du Faso? La réponse la plus évidente et la plus logique est celle qui table sur le camp du président. Mais si on s’en tient aux termes de l’actuelle Constitution du Burkina, la réponse est moins automatique.

Le projet de passage à une 5e République n’ayant pas encore abouti, c’est donc la Constitution de la 4e République qui demeure applicable. C’est-à-dire celle adoptée le 2 juin 1992, amendée en juin 2012 et récemment amendée encore sous la transition.
La récente modification n’ayant consisté qu’à «sacraliser» l’article 37 devenu intouchable dans son contenu, qui limite les mandats présidentiels à deux fois 5 ans.
C’est l’article 46 de la Constitution qui aborde la façon dont est choisi le Premier ministre. Dès son entame, l’article 46 dispose que: «Le président du Faso nomme le Premier ministre au sein de la majorité à l’Assemblée nationale et met fin à ses fonctions soit sur la présentation par celui-ci de sa démission, soit de son propre chef dans l’intérêt supérieur de la nation». La suite indique que: «Sur proposition du Premier ministre, il (Ndlr : le président du Faso) nomme les autres membres du gouvernement et met fin à leurs fonctions».
Les termes de l’article 46 sont clairs: c’est au sein de la majorité que le Premier ministre est nommé.
Depuis qu’une telle disposition a été adoptée, c’est le parti présidentiel qui a toujours été majoritaire à l’Assemblée nationale. Une majorité chaque fois bonifiée d’ailleurs par d’autres partis favorables au camp présidentiel. De ce fait, la nomination du Premier ministre n’a jamais posé problème. Même lorsqu’il y a eu un Premier ministre apolitique, celui-ci a fini par intégrer le parti présidentiel.
Mais supposons une situation où le camp du président n’est pas majoritaire. C’est une situation qui peut arriver directement par le verdict des urnes ou plus tard par le jeu des alliances entre les autres partis. On peut déjà constater, avec les résultats des votes du 29 novembre dernier, que cette fois la première possibilité est écartée. Le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP), parti du nouveau président Roch Marc Christian Kaboré, devance tous les autres partis en nombre de sièges à l’Assemblée nationale.
Il reste maintenant à savoir s’il disposera de la majorité absolue, qui le met à l’abri de tous les scénarios éventuels d’alliances entre les autres partis. En cas d’absence de majorité absolue pour le MPP, il va falloir la renforcer en s’associant à d’autres partis pour être sûr que la mouvance présidentielle est mathématiquement supérieure à n’importe quel regroupement au sein de l’Assemblée. Autrement, la majorité du MPP sera friable et la « majorité à l’Assemblée nationale », dont parle la Constitution, pourrait permanemment être mouvante.
Ce qui veut dire que la majorité pourrait éventuellement être constituée avec une coalition des partis d’opposition au MPP. Dans une telle situation, le président du Faso va-t-il nommer un Premier ministre issu de son opposition ? A priori, cela parait illogique car le président du Faso est élu pour mettre en œuvre son programme et non pas celui d’un Premier ministre qui serait issu d’un autre camp. Difficile également de dire à un Premier ministre venant de l’opposition d’épouser les idées du président. Il reste alors une solution : abandonner le programme présidentiel et redéfinir un programme commun.
Si cela arrivait, ce serait donc une cohabitation, comme ce fut le cas en France lorsque Jacques Chirac, président de droite, a dû accepter Lionel Jospin, un Premier ministre issu du parti socialiste.
Dans une situation où la majorité du parti présidentiel n’est pas «sécurisée», l’incertitude sera permanente sur la majorité parlementaire et le Premier ministre pourrait changer perpétuellement au gré des divorces et des nouvelles alliances au sein de l’Assemblée. Cette fois-ci, les résultats sortis des urnes montrent qu’on a évité un tel scénario fait d’incertitudes, mais notre démocratie n’est pas à l’abri. Ceux qui ont préparé la présente Constitution semblent n’avoir pas été suffisamment prévoyants sur tous les cas de figure. La prochaine Constitution devrait y veiller.

Karim GADIAGA


 

Une disposition sujette à polémique

Afin d’avoir un éclairage sur l’application de l’article 46, nous avons contacté le Pr Séni Mahamoudou Ouédraogo, Agrégé des Facultés de droit et actuel Directeur général de l’Ecole nationale d’administration et de magistrature (ENAM).
Le professeur reconnait effectivement les risques contenus dans cet article de la Constitution. Il estime que dans les conditions où effectivement le futur président du Faso n’a pas la majorité à l’Assemblée, il va falloir trouver un moyen pour éviter le blocage qui pourrait en résulter. Séni Ouédraogo explique que notre Constitution a adopté un virage parlementaire tout en maintenant l’essentiel du pouvoir entre les mains du président. «En dépit de ce que racontent certaines personnes, nous sommes dans un régime parlementaire au Burkina Faso», confie-t-il.
Le professeur a aussi l’impression que dans les travaux du Conseil national de la transition, notamment pour ce qui concerne la récente modification de la Constitution, tous les spécialistes n’ont pas été consultés. Parmi les possibilités qu’il essaie d’envisager au cas où on se retrouverait avec un blocage lié à l’article 46, il pense à une «Convention constitutionnelle», qui est une sorte de consensus politique pour régler la situation. Il pense également que dès à présent, il appartient aux hommes politiques de travailler à éviter que le blocage n’intervienne.

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