Tribune

Brexit: ce que doit faire l’UE – Par Anders Aslund

WASHINGTON, DC – Le vote du Royaume-Uni en faveur du Brexit est sans doute le plus grand désastre à avoir jamais frappé l’Union européenne. Si elle veut survivre, elle doit agir rapidement, notamment en mettant fin au désordre des marchés engendré par cette situation.
Le Premier ministre britannique David Cameron ayant perdu le référendum, il a fait ce qu’il devait faire en démissionnant. Mais il y a un autre grand perdant, c’est la Commission européenne dont le président, Jean-Claude Juncker, n’a pas fait grand-chose pour peser sur le vote. Depuis la présidence de Jacques Delors de 1985 à 1995, il n’y a jamais eu à la tête de la Commission un dirigeant visionnaire de poids. Comme Cameron, Juncker doit reconnaître sa responsabilité et démissionner. A nouveau, l’UE a besoin d’un dirigeant énergique. Parmi les nombreux candidats qui conviennent, je recommande l’ancien Premier ministre suédois, Carl Bildt.
Avant que ne s’apaise le tumulte engendré par le référendum, l’UE devrait fixer des principes explicites et sévères pour organiser la sortie du Royaume-Uni – explicites pour minimiser le coût, sévères pour dissuader les populistes des autres pays membres d’appeler eux aussi à un référendum sur la sortie de l’UE. A juste titre, les dirigeants de la Commission européenne ont déjà fait un pas dans cette direction en déclarant que les concessions faites par l’UE au Royaume-Uni en février ne prendront pas effet et qu’il n’y aura pas de renégociation.

Le Premier ministre britannique, David Cameron, et le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, à leur arrivée le 28 juin au sommet de Bruxelle. (Reuteurs)
Le Premier ministre britannique, David Cameron, et le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, à leur arrivée le 28 juin au sommet de Bruxelle. (Reuteurs)

Le Conseil européen, pour sa part, a déjà appelé à un sommet immédiat. N’étant pas parvenu en 6 ans à résoudre la crise financière grecque, l’UE semble enfin comprendre qu’elle doit entreprendre une action rapide et décisive pour survivre. Mais, elle ne doit pas se contenter de limiter les dégâts du Brexit. Depuis 40 ans, le problème fondamental de l’Europe est son attitude de laisser-aller face à la faible croissance due à une fiscalité excessive et une réglementation trop lourde.
Elle doit entreprendre dès maintenant des réformes fondamentales: supprimer les avantages sociaux injustifiés, libéraliser les services, le marché du travail et les marchés digitaux, réduire les charges sociales, déréguler l’industrie, améliorer l’éducation et encourager la recherche et le développement.
La réglementation de l’UE est claire quant aux responsabilités respectives des institutions européennes et des Etats nationaux. Néanmoins, la plupart des gouvernements européens (en particulier les gouvernements britanniques conservateurs) tendent à faire de l’UE un bouc émissaire pour masquer leur propre myopie politique. Il n’est donc pas surprenant que l’UE soit devenue si impopulaire. Etant donné qu’elle est déjà critiquée, il faudrait maintenant accorder à la Commission européenne le droit d’agir sur le terrain politique. L’UE a un message fort à faire passer et il lui faut pour cela des dirigeants de bonne foi.
Pour défendre leurs positions, les populistes européens insistent sur les erreurs dans le traitement de la question des immigrés et des réfugiés. Aussi l’UE devrait-elle élaborer une politique migratoire bien organisée, avec des quotas et des critères, comme l’ont fait avec succès l’Australie et le Canada, et contrôler efficacement ses frontières externes. Il faut renforcer le mandat de Frontex (l’agence européenne pour le contrôle des frontières extérieures de l’UE) et lui accorder davantage de moyens, de manière à ce qu’elle remplisse mieux sa mission qui est d’importance cruciale. L’UE doit également établir une politique étrangère et de défense commune pour agir sur les causes de la crise des réfugiés, à savoir les conflits en Libye et en Syrie. Pendant 25 ans, l’Europe a bénéficié des dividendes de la paix de l’après-Guerre froide tout en faisant preuve d’irresponsabilité, car elle a laissé le budget de défense des Etats membres descendre jusqu’à la misérable valeur moyenne de 1,4% de leur PIB. Or, il devrait atteindre au moins 2%, ainsi que l’ont promis les membres de l’OTAN. Aujourd’hui, seuls 5 pays européens atteignent ce seuil.
Le président Obama a eu raison de qualifier les Européens de profiteurs. Donald Trump, le candidat républicain à la présidence, va beaucoup plus loin en remettant en question le budget consacré par les USA à l’OTAN et aux dépenses militaires à l’étranger. Il n’est pas exclu que, dans un futur proche, l’Europe ne puisse plus compter sur les USA pour la défendre. Elle doit donc se préparer à se défendre toute seule.
Le principe de la démocratie représentative est au cœur de l’identité européenne ; mais paradoxalement seule la Suisse, un pays qui n’appartient pas à l’UE, recourt fréquemment au référendum. La sordide campagne sur le Brexit a eu au moins une conséquence positive: elle a mis en évidence le caractère démagogique et non véritablement démocratique des référendums et des plébiscites.
Les pays membres de l’UE doivent admettre les risques de la démocratie directe et durcir les critères ouvrant la porte à un changement important à l’issue d’un référendum. Il y faudrait au minimum une super-majorité avec une participation importante.
Au mieux, on peut espérer que le Brexit mette un point d’arrêt au laisser-aller européen. Qu’en sera-t-il ? Nous le saurons quand l’Europe décidera de se sauver, si elle le décide.

Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz
Copyright: Project Syndicate, 2016.
www.project-syndicate.org

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