Tribune

Les institutions de microcrédit au Burkina Faso : Pratiques et dérives – Par : Dr Samandoulougou Rasmata

Le rationnement du crédit par le système bancaire classique a longtemps entraîné un bon nombre de personnes dans des conditions précaires à cause de leur faible capacité financière à faire face au quotidien, notamment les femmes, les personnes démunies en milieu rural. Dans un tel contexte, le microcrédit, une pratique financière consistant à octroyer des prêts de faibles montants à des micro-entrepreneurs exclus par les institutions bancaires, a émergé dans les pays en développement dans les années 70. Au Burkina Faso, les expériences de crédit décentralisé existent depuis 1969, avec la création de la coopérative d’épargne et de crédit de Fakéna dans l’Ouest du pays (province du Mouhoun) et ont pris depuis le début des années 90, une dimension importante (WikiMemoires, 2013).
A l’initial, les institutions de microcrédit (IMC) visaient des meilleures pratiques de financement en vue d’être un outil efficace de lutte contre les inégalités sociales (pauvreté, discrimination raciale, etc.). Mais très vite, la recherche du profit des IMC va l’emporter sur le social et ces promesses laissent place à une évaluation plus critique, une remise en cause partielle de leur effet bénéfique et à une mise en évidence de risques de dérives bien qu’une loi ait été adoptée. C’est la loi n° 023-2009/AN du 14 mai 2009 portant règlementation des systèmes financiers décentralisés au Burkina Faso.
Le but de cet article est de mettre en lumière les pratiques et des dérives des institutions financières de microcrédit en signe d’interpellation afin de contribuer à améliorer leur efficacité dans le processus du développement économique au Burkina Faso.

Méthodologie
Dans le cadre de cette analyse, une recherche documentaire a permis d’établir les formes d’institutions de microcrédit existantes au Burkina Faso et de cerner leur pratique suivant la règlementation financière établie et à confronter celles-ci avec le système bancaire classique. De plus, une enquête de terrain est menée auprès d’institutions de microcrédit, d’associations de femmes et des individus. Elle vise à recueillir les appréciations des bénéficiaires des services des IMC.
A ce titre, cinq institutions privées de microcrédit et 3 du public ont été concernées. Les établissements privés interviewés sont PRODIA (Promotion du développement industriel, artisanal et agricole), institution de microfinance dont le champ de financement couvre l’activité agricole à petite échelle, notamment le maraîchage. L’établissement ASMAD qui appuie les femmes dans le cadre des transformations alimentaires. Le MICRO START, l’Agence communautaire pour le financement de la micro-entreprise (ACFIME) et la FINACOM. Les institutions publiques concernées étaient le FAARF, le FAIJ et le FASI. En outre, trois groupements de femmes en plus du collectif des associations de restauratrices et transformatrices des produits locaux et dix (10) personnes ont été interviewés à l’aide d’un mini-guide établi à cet effet.

Source: auteur à partir des données.

Résultats
Les résultats présentés concernent aussi bien la recherche documentaire que les données d’enquête.

Typologie d’institutions de microcrédit au Burkina Faso 
La recherche documentaire fait ressortir plusieurs formes d’institutions qui assurent le crédit au Burkina Faso (BCEAO, 2014)
Les mutuelles ou coopératives d’épargne et de crédit représentent la forme prédominante et occupent plus de 60% du marché. Celles-ci sont érigées en Association professionnelle des institutions de microfinance du Burkina Faso (APIM-BF). Cette association est créée en juin 2002 suite à la fusion de deux anciennes associations : l’Association professionnelle des institutions d’épargne et de crédit (APIDEC) et l’Association des intervenants en microfinance (ASIMIF). Au 31 décembre 2004, cette organisation comptait 35 membres et se présente comme le cadre approprié de concertation et d’actions en faveur de l’épanouissement et de la professionnalisation des institutions de microfinance.
Les structures de crédits directs ou solidaires qui sont des expériences ayant comme activité principale l’octroi de crédit sur la base des lignes de crédit accordées par les partenaires techniques et financiers ou sur la base de ressources empruntées auprès du système bancaire.
Les fonds nationaux qui occupent 7,3% du marché. Ce sont des structures créées par l’Etat dans le cadre de sa politique de promotion de l’emploi pour encourager le développement des activités génératrices de revenus à travers le financement des projets et des petites et moyennes entreprises/ des petites et moyennes industries (PME/PMI).
Selon le recensement effectué par le ministère en charge de l’économie, des finances et du développement (MINEFID, 2016), les institutions d’épargne et de crédit identifiées sont constituées de 73 structures non affiliées à un réseau dont fait partie le FAARF, la FAPE, le FAIJ, etc. et 269 structures organisées en réseaux.

Les bénéficiaires
Les femmes représentent la clientèle privilégiée des institutions de crédit direct et des projets à volet crédit. En 2002, elles représentaient plus de 51% du nombre de bénéficiaires directs. Les activités exercées par les micro-entrepreneurs sont, entre autres, l’artisanat, l’agriculture, surtout les cultures maraîchères, l’élevage le commerce et la pisciculture. Le nombre de bénéficiaires directs du micro-crédit est en progression continue, passant de 111 504 en 1994 à 601 983 en 2002 et plus de 2 647 521,23 en 2015 soit un taux d’accroissement de 439,8%, avec plus de 25 000 groupements professionnels et autres personnes morales.
Le taux de pénétration atteint environ 36% du total de la population active. La clientèle des institutions est à dominance féminine. La spécialisation des IMF et programmes entièrement dédiés aux femmes (FAARF, Programme Linkage et Caisses Villageoises) s’explique par leur importance dans les activités génératrices de revenus et le secteur informel et par un meilleur comportement des femmes vis à vis du crédit.

Analyse critique des institutions de microcrédit : pratiques et dérives
Les pratiques définissent ici la vision et les principes de base de fondement des institutions de micro-crédit. En effet, la vision des institutions de micro-finance, était d’être à travers le micro-crédit, un outil de lutte contre la pauvreté, viable, durable, diversifié tant sur le plan institutionnel que sur le plan de l’offre de produit et service. La mission du secteur de microcrédit était d’offrir de façon permanente des services financiers diversifiés et adaptés au besoin du grand nombre et en particulier aux catégories sociales n’ayant pas accès aux services bancaires. Leurs objectifs étaient d’œuvrer à réduire la pauvreté et à sécuriser des fonds financiers de la population. Les principes de base étaient qu’elles ne tirent pas un trait sur les clients litigieux ou à risques. Elles proposent à cette clientèle des moyens de financement et des critères qui peuvent s’accorder à leurs besoins. D’autre part, elles ne mettent pas de conditions sur l’objet de prêt. Elles sont également attentives aux besoins de sa clientèle. Cependant comparées aux réalités de terrain, l’enquête menée auprès d’institutions privées et publiques et des bénéficiaires a fait ressortir des limites et des dérives qui entravent l’efficacité des IMC.

Limite des institutions de microcrédit
L’accès à l’information, la restriction sur les montants octroyés, les conditions d’octroi et de remboursement « sévères », la grande influence des mentalités et des lourdeurs socio-culturelles sur les actions visant à lever les inégalités, les coûts de services non financiers élevés, la lenteur dans le traitement des dossiers sont du nombre des limites imputées aux institutions de microcrédit. En effet, l’accès à l’information se fait de bouche à oreille. Nombreuses femmes ont témoigné avoir reçu les informations de leur camarade femme, qui, elle aussi l’a reçu d’autres personnes elles y souscrivent sans une réelle motivation ou par effet d’imitation. Pourtant les institutions avancent avoir passé des communiqués pour informer les possibilités d’ouverture de compte et d’accès au crédit.

Les montants globaux octroyés sont variables. Les entretiens organisés avec des structures d’octroi (institutions micro-crédit et des groupements de femmes font ressortir qu’il existe des voies informelles instaurées par des ONG ayant un souci social d’aider les femmes. Toute fois celles-ci sont prohibées par la Banque mondiale et passible de pénalité.
Les voies formelles sont plus nombreuses. Pour le premier niveau, les montants sont de 25000 FCFA à 300 000 F CFA par groupement d’adhérents (variables entre 10 et 45 membres). Pour le cas formel, le montant moyen des prêts est généralement fonction de la nature du crédit et varie entre 50 000 et 25 000 000 de FCFA/groupement. La plupart des interviewés ont évoqué l’absence de refinancement nécessaire à l’augmentation de la capacité financière. Cela limite à moyen terme leur capacité financière.

Les conditions d’accès et de remboursements des crédits sont identiques dans la plupart des institutions publiques comme privées, telles que résumées dans le tableau 1. Il ressort des données qu’elles sont aussi sévères dans les institutions de microcrédit que dans les banques. En effet, peu de conditions d’octroi sont demandées dans les banques classiques. Toutefois, elles sont très restrictives et s’assurent de la capacité de l’emprunteur avant toute transaction. Par contre, une panoplie de conditions est sollicitée par les IMC selon le type et le montant du prêt.
La première est l’obligation d’être dans un groupement gagé de crédibilité du client. Cette condition a été farouchement critiquée par les emprunteurs crédibles et se sont sentis trahis par les « passagers clandestins » dans les groupes.

Le mode de remboursement des crédits sont échelonnés. En effet, chaque bénéficiaire reçoit pour la première année une somme de 50000 FCFA qui sera remboursée à 60000 FCFA pendant 3, 6 ou 12 mois. A la deuxième année, si les dettes sont payées, le même bénéficiaire reçoit 100 000 FCF. A la troisième il obtient 150000 FCFA. En sommes 50000 FCFA sont ajoutés chaque année si les remboursements sont effectués sans incidence. Toutefois, certaines reçoivent des faveurs et peuvent passer de 200 000 FCFA à partir de la quatrième année à 500000 FCFA. Mais cela est rare. L’obstacle est que dans le cas des groupements, aucun membre ne peut bénéficier une deuxième fois de prêt si tous les membres ne se sont acquittés de leur dette.
Pour tout cas de non remboursement, les garanties sont engagées sans aucune mesure. L’exécution des garanties suit une procédure (OHADA) qui est assez complexe. On observe souvent des abus de la part de certains SFD. En conséquence, l’on observe des conditions de remboursement pénibles appauvrissant d’avantage les bénéficiaires. Au-delà de ces limites, nombre de dérives sont décelées des pratiques des IMC.

Les dérives des institutions de microcrédit
Le système de microcrédit se voulait être un mécanisme d’aide aux pauvres, mais au fil du temps, les institutions se sont focalisées sur le rendement (pratique de taux d’intérêt élevé) oubliant souvent leur mission première. En effet, le taux d’usure imposable plafonnés par la BCEAO aux institutions de micro-finance se situe à 24%. Les taux d’intérêts fixés par les institutions formelles (connus par les institutions de contrôle : MEF, Banque Mondiale) sont de 20% et plus. Le taux d’intérêt (non régulé) élevé peut atteint 30%. Ce taux est largement supérieur à celui des banques classiques et n’est même pas respecté au regard des coûts de transaction (placement de crédit, suivi…). En outre, les crédits ne sont pas nécessairement alloués aux secteurs les plus pauvres car ses secteurs dégagent des intérêts peu rentables et demandent beaucoup de travail de terrain. De plus, les institutions s’intéressent qu’au milieu urbain, oubliant ainsi le milieu rural ou la plus part des paysans ont besoins de ces crédits pour le développement de leurs activités. Et dans un élan d’amasser plus de clients, elles octroient le maximum de crédits à tout venant sans assurer le minimum d’accompagnement. De manière générale, le taux de recouvrement de tous les secteurs est meilleur chez les femmes bien qu’elles font face à des pressions familiales (les femmes remettent parfois aux maris les ressources obtenues à crédit ou sont obligées de détourner la destination du crédit reçu). Ces derniers n’arrivent pas ou refusent souvent de les rembourser. Dans certains contexte, elles sont victimes de surendettement, découlant d’une augmentation du crédit à la consommation au détriment du crédit productif, et des pratiques favorisant la cavalerie (en terme de crédit de consommation, on parle de cavalerie lorsqu’un client contact un prêt pour en rembourser un autre dont il n’arrive plus à payer les termes). Par moment les tarifications ne tiennent pas compte des destinations. Une femme interviewée révèle ceci «j’ai commencé le microcrédit quand mon enfant devait aller au collège et j’ai pris le crédit pour sa scolarisation et je fais le commerce pour rembourser mais ça ne marche pas ». Dans le domaine agricole, le remboursement des prêts pris par les agriculteurs dépendant de plusieurs facteurs (climatique ; édaphique biotiques ect.) s’effectue souvent avec des difficultés. Mais les agriculteurs font de leurs mieux pour honorer leur engagement vis-à-vis des institutions de micro-finances. Du point de vu de la représentativité des petits producteurs l’enquête a révélé un faible niveau d’adhésion des paysans à la micro-finance du fait des contraintes de remboursement. Cette phrase prononcée par un paysan interrogé résume la perception du financement de l’agriculture par les producteurs eux-mêmes: « Le taux d’intérêt du crédit est à deux chiffres et nous voulons qu’il soit à un chiffre ». Un maraicher indique que le crédit fait par les institutions financières n’est pas à la portée des membres de la fédération en raison du taux d’intérêt élevé.
La méconnaissance du contenu du contrat de crédit signé par les clients constitue en soi une tare juridique. En effet, des groupements de femmes disent qu’elles n’ont pas la possibilité de lire les contrats, «ce sont les agents des institutions qui remplissent les contrats en nous posant des questions seulement sur nos caractéristiques sociodémographiques» déclare la chef d’un groupement de femme à Ouagadougou.
En termes de durée de remboursement des prêts, elle est très variable. Elle va de 3 mois à 12 mois. La plupart des crédits sont généralement de court terme et n’excède pas 12 mois pour les très pauvres. Cependant, certaines institutions, compte tenu de leur taille et/ou de leur spécificité (FCPB notamment) ont des prêts de durée atteignant 36 et 60 mois.


Conclusion

Plusieurs problèmes sont ressortit des enquêtes menée auprès des femmes. Ce sont l’exigence de taux d’intérêt élevé appliqué, l’exigence de garanties, existence de contraintes de remboursement qui engendrent la honte, la frustration et sont à l’origine des fuites hors des foyers ou même du pays. Cela aurait engendré le développement d’autres alternatives par des femmes ou groupements de femmes. Il existe au Burkina Faso entre autre les tontines, les corridors, les «tag-raogo» développés dans tous les coins du pays. En effet, les tontines se font mensuellement à des montants variables qui peuvent variés entre 2500 FCFA à plus de 3 millions par mois. Les corridors se font chaque jour à des montants variables à partir de 2500 FCFA. Les « tag raogo » sont des ventes en nature des biens faites par les femmes et hommes et qui sont payés chaque jour. Ces alternatives sembles bien appréciées des adhérents eu égard à leur engouement grandissant pour ces transactions. Ils restent unanimes que les mesures alternatives aux microcrédits sont de loin plus avantageuses que les micro-crédits. Les raisons avancées sont entre autre l’absence d’intérêt appliqué, absence de garanties quelconque (soif la confiance), une information symétrique des deux parties, absence de contraintes qui engendrent la honte, la frustration et qui sont à l’origine des fuites.


Références bibliographiques

BCEAO (2014), Monographie actualisé des Systèmes Financiers Décentralisés (SFD). Burkina Faso.
MINEFID (2016), Résultats clés 2016 du Ministère de l’Economie, des Finances et du Développement (MINEFID), Burkina Faso.
Wiki Mémoires (janvier 2013), La micro-finance au Burkina Faso, contexte général et performances. Economie et Gestion.
Trésor public (décembre 2014), Recueil de textes législatif et règlementaires applicables aux systèmes financiers décentralises aux Burkina Faso.
http://www.rachat-de-credit-simulation.com/difference-entre-micro-finance-et-micro-crédit.html
Personnes ressource pour les interviews:
Monsieur KABORE, Inspecteur du Trésor, Expert en, Micro-finance financier au niveau de la Direction de la Surveillance et du Contrôle des Systèmes Financiers Décentralisés (DSC-SFD) effectué le 16/11/2017 ; Contact: 78 30 37 64/
Monsieur. Ousseny du ministère de l’économie et des finances, chargé des opérations de crédit.

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