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Fiscalité immobilière : Une faible contribution aux recettes fiscales

Les impôts immobiliers ne sont pas rentables pour le Burkina Faso. En effet, les recettes fiscales liées au foncier ont représenté 5,18 % des recettes fiscales totales en 2013, 5,93% en 2014 et 5,65% en 2015. Il convient de préciser que ces données ne concernent que les impôts immobiliers stricto sensu. Elles n’intègrent donc pas les impôts comme la TVA et les impôts sur les bénéfices (IS, BIC, BNC) qui sont considérés comme des impôts immobiliers lato sensu. Au regard de cette situation, Blanchard Auguste Yaméogo, inspecteur des Impôts en service à la Direction de la Législation et du Contentieux, a jugé judicieux d’analyser le droit comparé, notamment les législations de quelques pays dans une thèse de Doctorat qu’il a soutenue sur le thème : « Étude de la fiscalité immobilière au Burkina Faso : droit positif et aspects prospectifs ». Il a eu comme directeur de thèse, le Pr Filiga Michel Sawadogo. Pour son travail, il a exploité les législations de pays comme la France, la Belgique, la Côte d’Ivoire, le Mali, le Niger, le Sénégal, le Cameroun, etc. Son travail s’est s’inscrit dans une démarche d’appui à l’administration fiscale dans sa quête de réformes adéquates en phase avec ses missions de mobilisation des recettes fiscales. Au moment du choix de son sujet, le gouvernement avait pris une série de décisions en matière d’urbanisation et d’habitat. L’ex-Premier ministre, Paul Kaba Thiéba, dans son discours de politique générale devant l’Assemblée nationale le 5 février 2016, annonçait l’audit des lotissements litigieux dans les Communes, la promotion à Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso de la construction d’habitats à loyer modéré, la mise en œuvre de mesures incitatives en direction du privé pour réaliser des logements sociaux dans chacune des 45 provinces, la viabilisation des sites des logements sociaux déjà construits, l’appui aux promoteurs immobiliers dans la vulgarisation de constructions en matériaux locaux, la création de plans d’épargne/logement en rapport avec les établissements de crédit.
Toutes ces mesures ont une forte connotation interventionniste, dans la mesure où elles se traduiront par de nombreuses exonérations fiscales en matière de fiscalité immobilière.
Comment accroître alors les recettes de la fiscalité immobilière dans un tel contexte tout en minimisant les effets négatifs sur le plan économique et social ?
Blanchard Yaméogo a constaté que la fiscalité immobilière était étoffée mais reste malheureusement marquée par sa faible rentabilité, surtout pour les impôts portant sur la propriété, la jouissance et la mutation des biens immobiliers.
Plusieurs obstacles expliquent cet état de fait, dont les éléments de science fiscale tels que les exonérations et d’autres causes liées aux éléments de technique fiscale telles que la non-maîtrise de l’assiette de certains impôts immobiliers. Il déplore également dans l’organisation administrative actuelle de la Direction générale des Impôts (DGI), la gestion cloisonnée des dossiers relatifs au patrimoine foncier des contribuables entre les services des domaines et de la publicité foncière et les services d’assiette, toute chose qui ne permet pas un rapprochement desdits dossiers dans le cadre d’une bonne administration du contrôle fiscal. En effet, en matière d’administration du contrôle fiscal, notamment au titre de l’impôt sur les bénéfices industriels et commerciaux des personnes physiques, il existe des dispositifs spécifiques de présomption de revenu permettant de faire une taxation d’office des contribuables qui ne respectent pas leurs obligations de déclaration, en fonction des éléments de train de vie. Parmi ces éléments de train de vie, le législateur vise, entre autres, les immeubles dont le contribuable est propriétaire, au regard de leur importance dans le patrimoine d’une personne. Ainsi, la loi précise que la base de la taxation d’office ne peut être inférieure à 5 fois la valeur locative annuelle de la résidence principale et éventuellement des résidences secondaires au Burkina Faso ou hors du Burkina Faso. La question se pose de savoir comment l’agent d’assiette pourrait faire efficacement cette taxation s’il ne dispose d’informations sur le patrimoine immobilier du contribuable ?
Quant aux impôts sur les revenus, profits et autres opérations immobilières, ils sont caractérisés par l’absence de contrôle et une faible maîtrise de l’assiette fiscale.
Il observe que le système fiscal burkinabè enregistre, chaque année, des réformes dont certaines portent sur la fiscalité immobilière. Ces réformes sont marquées par une forte tendance à l’interventionnisme, lequel entraîne des déperditions de recettes. Conséquences, la faible rentabilité de la fiscalité immobilière constitue toujours une sérieuse préoccupation pour les décideurs qui hésitent à engager des réformes axées sur la rentabilité financière. Pourtant, un fort potentiel existe en matière de fiscalité immobilière.
Aux termes de sa recherche, Blanchard Yaméogo estime que la fiscalité immobilière burkinabè a besoin de réformes à la fois radicales et progressives. Au nombre de celles radicales, il propose de limiter l’interventionnisme à caractère exclusivement économique et social, de promouvoir l’interventionnisme économique à caractère territorial, de relire le livre des procédures fiscales en vue d’élargir le droit de communication à tous les acteurs intervenant dans la chaîne foncière (SONABEL, ONEA, Mairies, Notaires, Sociétés immobilières, etc.). Il propose également de fiscaliser certaines activités ou opérations immobilières et de les soumettre à des impôts modernes et rentables comme la Taxe sur la valeur ajoutée (TVA). La fiscalisation des activités des intermédiaires immobiliers et la taxation à la TVA des prestations et des produits des sociétés immobilières sont autant de propositions, tout comme la création d’une taxe pour le financement du logement.
Toujours au titre des propositions, il a énuméré la possibilité de créer de nouvelles taxes en matière de fiscalité environnementale, l’institution d’un taux proportionnel sur les évaluations d’immeubles en lieu et place du forfait de 6.000 FCFA, l’utilisation de moyens techniques adéquats en vue du renforcement du cadastre fiscal (à ce titre, il propose également l’accélération de la mise en œuvre du cadastre fiscal qui est un outil indispensable pour réussir une bonne réforme en matière de fiscalité immobilière), l’utilisation de procédures fiscales efficaces en matière de contrôle fiscal et de recouvrement des impôts.

Elie KABORE


Relever les taux d’imposition de certains impôts immobiliers

Au titre des réformes progressives, Dr Yaméogo a démontré la nécessité de relever les taux d’imposition de certains impôts immobiliers, notamment, ceux qui s’appliquent sur des revenus passifs (TPVI, Taxe spécifique sur les revenus des transactions des titres miniers).
L’évolution récente de la fiscalité immobilière en France et dans certains pays de la sous-région ouest-africaine fut l’un des centres d’intérêt de ses réflexions. Malgré la rareté des articles sur la fiscalité immobilière, sa recherche l’a conduit vers des dimensions nombreuses, diversifiées et parfois fascinantes de la fiscalité. En effet, elle a cerné avec plus de précision, les enjeux de la fiscalité immobilière qui dépassent parfois le cadre de la mobilisation des recettes.


 

Immobilier et blanchiment d’argent : quelles solutions ?

L’Economiste du Faso : Qu’est-ce que la fiscalité immobilière ?
Dr Blanchard Auguste Yaméogo : La fiscalité immobilière a un champ d’application très vaste. En effet, la fiscalité immobilière est composée de tout un ensemble d’impositions distinctes qui frappent les contribuables aux différentes étapes de vie de l’immeuble appréhendé sous sa forme corporelle (immeuble-pierre) ou incorporelle (immeuble-papier).
Ainsi, l’impôt frappe l’immeuble dès son projet de construction (taxes d’urbanisme à l’occasion de la demande d’autorisation de construire), puis sa construction (profits de construction), ses mutations de propriété ou de jouissance (ventes, locations, etc.), les revenus et plus-values immobiliers que l’on peut en tirer, ou encore sa détention (contribution foncière sur les propriétés bâties et non bâties).
Au niveau des personnes physiques, la fiscalité immobilière vise tout aussi bien le simple particulier détenteur de son bien immobilier corporel ou incorporel, que l’investisseur loueur qui met en location son immeuble.
Au niveau des personnes morales, la fiscalité immobilière concerne, tout aussi bien les sociétés immobilières qui ont une activité de professionnel, que les sociétés ayant une activité professionnelle donnée et qui mettent accessoirement en location des immeubles inscrits à l’actif de leurs entreprises.

Qu’est-ce qui justifie la nécessité d’opérer des réformes adéquates en matière de fiscalité immobilière au Burkina Faso ?
L’efficacité des impôts immobiliers justifie la nécessité d’opérer des réformes adéquates en matière de fiscalité immobilière au Burkina Faso. D’une part, l’efficacité des impôts immobiliers repose sur les caractéristiques physiques de l’immeuble, notamment, son volume, ses dimensions et sa fixité géographique, toute chose qui facilite la maîtrise de la base imposable et la pérennité des recettes fiscales. L’imposition de l’immobilier se prête moins à la fraude qu’une imposition sur le revenu, dans la mesure où l’impôt immobilier est assis sur une base impossible à dissimuler.
D’autre part, la taxation foncière présente un intérêt particulier dans les pays en développement. On pourrait citer quelques exemples. Elle permet de pallier les lacunes de l’imposition des revenus, notamment, la fraude et l’évasion fiscales en matière d’impôts sur les bénéfices. En effet, certains investissements immobiliers sont financés sur la base de bénéfices dissimulés à l’administration fiscale. Elle permet également d’atteindre la fortune privée des contribuables dont une grande partie est investie, dans nos pays, en terrains ou immeubles. En effet, l’immeuble constitue une valeur refuge tout comme l’or, c’est-à-dire qu’il attire les placements des particuliers mais également des entreprises. Enfin, l’immobilier est un domaine privilégié et propice pour le blanchiment des capitaux. Selon le Groupe intergouvernemental d’action contre le blanchiment d’argent en Afrique (GIABA), qui est un organisme mis en place dans l’espace CEDEAO, l’argent sale est blanchi dans l’immobilier et les travaux publics (cf. l’hebdomadaire économique burkinabè, L’Economiste du Faso, n°153 du 11 au 17 avril 2016). Selon le rapport d’évaluation mutuelle de mai 2019 faite par le GIABA sur le Burkina Faso, il ressort que « le secteur de l’immobilier est décrit comme l’un des secteurs où le risque de blanchiment est plus élevé ».

Comment éviter que l’immobilier soit une source de blanchiment d’argent ?
Il faut déplorer, à ce titre, l’inorganisation du secteur des intermédiaires immobiliers, c’est-à-dire, les personnes intervenant en matière d’achat ou de vente de parcelles, communément appelées « démarcheurs ». Une organisation de ce secteur aurait permis de les fiscaliser et d’obtenir d’elles une collaboration étroite en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux, à travers, notamment, l’obligation de déclaration de soupçon à laquelle elles seront tenues tout comme les banquiers, les assureurs, etc. C’est le cas dans beaucoup de pays.

Parlant des réformes en matière de fiscalité immobilière, vous avez indiqué également la nécessité d’accélérer la mise en place du cadastre fiscal qui est un outil indispensable pour réussir une bonne réforme en matière de fiscalité immobilière. Quel est le rôle joué par le service du cadastre en matière de promotion de la fiscalité immobilière ?
Ce service a une double mission.
Une technique et juridique : l’identification de chaque parcelle et de chaque propriétaire foncier par l’établissement et la mise à jour des documents cadastraux (plan cadastral, états de section, etc.). Et une mission fiscale : contribution à l’établissement et à la mise à jour des rôles des impôts immobiliers en fixant et en révisant les évaluations foncières des propriétés bâties et non bâties.
Pour réussir ces actions d’imposition et de recouvrement, l’administration se doit de disposer d’une base de données régulièrement mises à jour. Cet objectif ne peut être atteint sans le cadastre fiscal dont l’absence pèse négativement sur la rentabilité de la fiscalité immobilière. Aussi, l’accélération de la mise en place du Cadastre fiscal est-elle nécessaire. Certes, la modernisation des moyens d’action de l’administration fiscale burkinabè est devenue une réalité. Toutefois, le renforcement des capacités techniques du service du cadastre serait un avantage indéniable pour la mise en place d’une fiscalité locale immobilière moderne au Burkina Faso. En effet, le cadastre est un outil de promotion de la fiscalité immobilière.

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