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A la UneChronique

Le débat indécent sur l’IUTS

Le débat sur l’Impôt unique sur les traitements et salaires (IUTS) a été tellement dévoyé, travesti que l’on est actuellement au point de considérer comme normal qu’une loi fiscale de portée générale ne soit applicable qu’à une partie des contribuables (constituée par les salariés régis par le Code du travail), tandis que l’autre partie, représentant les agents publics, en est partiellement exemptée bien que celle-ci soit nantie des mêmes avantages que celle-là. Pour la première fois au Burkina Faso, l’on est en passe d’admettre ouvertement que les citoyens du pays des Hommes intègres ne sont pas égaux devant la loi et que celle-ci ne s’applique que suivant les lignes ou les rapports de forces entre l’Etat et les organisations corporatives regroupant les citoyens. Il s’agit là d’une situation inédite qui porte le germe d’un danger mortel pour l’Etat.
Il est difficile de se taire quand on sait que le Burkina Faso, au mépris de sa souveraineté, tend chaque année, voire chaque jour, la sébile à la porte des Partenaires techniques et financiers (PTF) pour solliciter les ressources financières nécessaires (aides budgétaires) afin d’équilibrer son budget.
Mais l’IUTS qu’est-ce que c’est. Pourquoi cette tempête se lève contre cet impôt au moment même où une large tendance de l’opinion publique revendique la souveraineté de notre pays dans toute sa plénitude ? Pourquoi cette déferlante sociale au moment où notre pays traverse une grave crise humanitaire sans précédent, nécessitant la mobilisation de toutes ses forces endogènes ?

De l’origine de l’IUTS

Faut-il le rappeler, l’IUTS est, comme tout impôt, un prélèvement obligatoire sans contrepartie institué au profit de l’Etat pour subvenir aux charges publiques. L’IUTS tient son origine de ce vieil Impôt cédulaire sur les traitements et salaires, une variante de l’impôt progressif sur le revenu institué en France depuis une loi du 31 juillet 1917 (source Cheickh Diouf, enseignant-chercheur à l’Université Cheickh Anta Diop de Dakar in « Fiscalité et Domination coloniale, exemple du Sine 1859-1940).
L’impôt cédulaire sur les traitements et salaires était un impôt progressif, payable à l’an (N) sur déclaration des revenus salariaux perçus par le salarié au cours de l’année (N-1). Cette déclaration était faite à l’aide d’un formulaire appelé « cédule », d’où le nom de l’impôt. Le taux d’imposition est fixé par tranche et plus les tranches de revenus montent l’escalier, plus l’impôt dû est élevé.
L’impôt cédulaire sur les traitements et salaires a été rendu applicable aux colonies au fur et à mesure que la colonisation engendrait sur ses territoires conquis, une nouvelle classe sociale constituée des salariés des secteurs publics et privés émergeants. Les populations indigènes, quant à elles, étaient assujetties à l’impôt de capitation, c’est-à-dire l’impôt par tête (« per capita »). Selon Cheickh Diouf de l’UCAD (ibidem), c’était « un impôt personnel, une sorte de contribution obligatoire que les peuples colonisés devaient verser au colonisateur pour assurer le financement de sa domination… les colonies ne devaient rien couter à la métropole » (la France).
Si l’impôt de capitation a été abandonné (sous toutes réserves) dans les années 80 pour cause d’obsolescence, l’impôt cédulaire sur les traitements et salaires, quant à lui, faisait partie, en raison de la succession d’Etat, de l’arsenal fiscal hérité du régime colonial, à savoir le Code des impôts directs et indirects (CIDI). En raison de son caractère déclaratif et des moyens de recouvrement disponibles à l’aube de l’indépendance, cet impôt était peu rentable, d’où la nécessité de son adaptation à l’évolution socioéconomique. La réforme de notre système fiscal fut l’œuvre de l’Intendant militaire Marc Tiémoko Garango, ministre des Finances et du Commerce de 1966 à 1975.

De l’institution de l’IUTS 
L’IUTS a été institué par l’Ordonnance n°70-43 PRES MFC CD du 17 septembre 1970 modifiant et complétant le Code des impôts directs et indirects (CIDI) et du monopole des tabacs ; nous donnons quelques extraits pour éclairer le lecteur qui nous fera l’honneur de nous lire.

L’article 5 de l’Ordonnance sus citée dispose : les articles 55 à 74 du chapitre III et les articles 84 à 110 sexiès du chapitre IV du Titre I du Code des Impôts sont abrogés et remplacés par les dispositions suivantes :
Section I : revenus soumis à l’impôt
Article 55 :
Il est institué au profit du Budget de l’Etat, un Impôt unique sur les traitements et salaires applicable à l’ensemble des traitements publics et privés, indemnités, émoluments et salaires de toute nature perçus en cours de la même année.

Article 56 : (concerne les exemptions au nombre de sept)

Article 57 :
L’impôt est dû par tous les salariés de la Haute Volta, bénéficiaires des revenus visés à l’article 55, quel que soit leur statut ou leur nationalité.

Article 59 nouveau
Pour la détermination des bases d’imposition, il est tenu compte du montant total net des traitements, y compris les sommes mandatées au titre de pécule, indemnités, émolument et salaire ainsi que de tous les avantages en argent accordés aux intéressés en sus des traitements, indemnités, émoluments et salaires proprement dits, sous réserves des dispositions de l’article 56 (relatif aux exemptions)

Article 61 nouveau
L’IUTS est calculé et retenu par l’employeur pour le compte du Trésor.

Commentaires de l’auteur de la réforme, l’Intendant militaire Marc Tiémoko GARANGO (in « Le Redressement financier de la République de Haute Volta, p. 87»
«Les idées maîtresses qui ont inspiré le Budget 1971 ont été « vivre selon ses moyens » «  faire la politique de ses moyens ». Ce Budget porte donc la marque de la sincérité et du réalisme. Il a été équilibré en recettes et en dépenses à 10.515.231.000 FCFA en progression de 7,77% par rapport au budget 1970 après des réformes fiscales tendant à améliorer le rendement des impôts. C’est ainsi que pour les salariés, les impôts cédulaires progressifs sur le revenu, minimum forfaitaire et la taxe de voirie ont été supprimés et remplacés par un Impôt unique sur les traitements et salaires (IUTS) retenu à la source. C’est en fait la mensualisation de l’impôt » (souligné par nous).

Pour répondre aux besoins d’équité et à la demande sociale, les dispositions légales ci-dessus citées ont connu, au fil du temps, de nombreuses modifications, sans altérer outre mesure le sujet qui nous préoccupe aujourd’hui, à savoir la base d’imposition de l’IUTS qui intègre tous les éléments prévus à l’article 55 du CIDI, quel que soit le statut ou la nationalité du salarié.

Des allégations inexactes sur l’IUTS
Les débats sur l’IUTS et les allégations fausses qui les émaillent ont été fort bien résumés par Sidzabda Damien Ouédraogo dans son excellent article publié sur lefaso.net du 1er mars 2020 sous le titre évocateur « Application de l’IUTS au Burkina Faso : un virage dangereux ». Je m’en voudrais de ne pas y recourir in extenso :
« Contre pareil argumentaire et cette façon de voir (position du gouvernement), les syndicats ont toujours eu bon dos de répliquer en rappel que, à l’origine, l’IUTS fut d’abord et avant tout un impôt volontaire, un effort historique, consenti par les travailleurs voltaïques dans les années 70 (1974 exactement, sauf erreur de notre part) dans le noble objectif d’aider l’Etat à se sortir à l’époque d’une très mauvaise passe budgétaire. Non content de l’avoir pérennisé puis finalement institutionnalisé, il paraît dès lors « cynique » de la part du même Etat de vouloir retourner le sacrifice patriotique de leurs devanciers contre les travailleurs publics d’aujourd’hui, en prétendant étendre l’IUTS sur les indemnités et les primes que ceux-ci perçoivent ».
Le commentaire de l’auteur de la réforme fiscale de 1970 réduit à néant l’allégation suivant laquelle l’IUTS fut d’abord et avant tout un « impôt volontaire », étant observé par ailleurs que l’impôt, de par sa nature, n’est pas volontaire mais obligatoire pour le contribuable qui entre dans son champ d’application.
L’institution de l’IUTS ou la mensualisation de l’impôt s’inscrivait dans une vision à long terme du législateur fiscal : améliorer la rentabilité des impôts. Mais l’IUTS a gardé avec l’ancien impôt cédulaire sur les traitements et salaires, un trait commun : le taux d’imposition est progressif suivant les tranches de revenus versés au salarié.
L’IUTS ne saurait être confondu, sans abus de langage, avec la contribution patriotique ponctuelle de 1967. A cet égard, le ministre des Finances et du Commerce de l’époque, Marc Tiémoko Garango, écrit : « L’idée de base était d’avoir recours au sens patriotique de chaque citoyen, devant les graves difficultés que connaissait le pays, en lui demandant d’abord de donner une partie de son revenu afin de sauvegarder l’honneur et la dignité de la Haute Volta. Il était demandé à chaque salarié l’abandon d’un demi mois de salaire, à tout entrepreneur et commerçant de donner la moitié de sa patente, au reste de la population de verser cent (100) FCFA pour les habitants de la campagne, et deux cent (200) FCFA pour la population urbaine. …Cette souscription volontaire a atteint 464 millions dont les 4/5 ont servi au règlement des créances et 1/5 au financement d’opération d’intérêt commun (dont la construction d’un lycée de jeunes filles » (ibidem p. 62 et 63). La contribution patriotique n’est pas assimilable à un impôt ; elle résultait du geste volontaire du citoyen répondant à l’appel de la nation ; elle n’était pas du reste suspensive des impôts alors en vigueur à la charge des différents contribuables.
La contribution patriotique de 1967 était donc l’œuvre collective de toute la nation rassemblée devant une situation ponctuelle grave et non la part exclusive des salariés de la Fonction publique.
Il est donc à se demander pourquoi, face à l’urgence de la crise humanitaire sans précédent dans notre histoire commune, des travailleurs refusent de répondre à l’appel pour l’union sacrée de toutes les forces vives de la nation en vue de répondre à un devoir historique de solidarité. Il est aussi à se demander pourquoi face à une situation plus grave que celle qui a motivé l’appel à la contribution patriotique de 1967, des travailleurs préfèrent regarder à leur poche et, pire, tirent sur l’ambulance de l’Etat dont le pronostic vital est incertain.
Il est pour le moins étonnant que notre administration fiscale, gardienne de notre mémoire collective en matière de prélèvement fiscal, soit subitement devenue presqu’inaudible, elle qui n’est pourtant pas sans savoir que l’administration publique était depuis longtemps dans l’illégalité, peu regardante qu’elle est sur la retenue à la source de l’IUTS dû par les agents publics ; alors que les employeurs du secteur privé ou assimilé sont mémoratifs des redressements et pénalités dont ils sont souvent la cible en cas d’erreurs ou d’omissions (fussent-elles de bonne foi) dans la détermination de l’assiette de l’IUTS.
Il est clair que depuis son institution en septembre 1970, l’IUTS s’applique aux primes, indemnités et avantages de toute nature, versés aux agents publics dans le cadre de leur traitement salarial ; le nier c’est réécrire la loi à la tête du contribuable, c’est commettre un grave tort à la solidarité nationale, c’est dénier à l’Etat le droit régalien à l’impôt afin de pourvoir aux charges publiques.

Enoch DABIRE
Avocat honoraire


La crise actuelle ne profitera à personne

Mais au-delà de cette déferlante sociale causée par l’IUTS, ce sont les fondements mêmes de notre Etat qui risquent d’être gravement ébranlés. Avec quels moyens endogènes l’Etat, qui est menacé par ailleurs dans son existence même, va prendre en charge la crise humanitaire sans précédent que le pays des Hommes intègres connait aujourd’hui. Devons-nous continuer à solliciter l’aide des contribuables des pays occidentaux pour faire face aux charges publiques (qui nous incombent en premier lieu), alors que nous-mêmes refusons de contribuer à l’impôt ? Où est notre souveraineté quand notre pays, qui vit au-dessus de ses moyens, doit compter sur les aides budgétaires venant de nations étrangères afin de couvrir ses charges publiques.
Sans prétendre être comme Cassandre de la mythologie grecque, la crise actuelle ne profitera à personne, sauf à faire descendre le Burkina Faso dans les abysses où il n’y a que le chaos. N’insultons pas Dieu en l’appelant au secours pour nous délivrer des conséquences de nos propres turpitudes.
Pour terminer comment ne pas dire avec Sidzabda Damien Ouédraogo : « que penser de ces millions de Burkinabè, silencieux de ce silence coupable des gens biens, dont Norbert Zongo a vainement interpellé à l’engagement actif pour la défense du bien public et de la destinée commune, jusqu’à finir dans la lâcheté d’un brasier criminel».

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RAF

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