Du 16 au 20 mars, les syndicats qui sont vent debout contre l’application de l’IUTS sur les primes et les indemnités dans le secteur public ont décrété une grève générale. Si elle est effective, elle risque d’impacter certains secteurs d’activités dans lesquels le collectif CGT-B recrute le plus de militants et voire au-delà, si le caractère général de la grève est suivi largement.
C’est l’objectif d’un tel mouvement. Ses initiateurs entendent ainsi faire une démonstration de force, montrer leurs capacités à bloquer le pays et amener ainsi le gouvernement à renoncer à l’IUTS sur leurs primes et indemnités au public comme au privé, à rembourser les coupures du mois de février faits aux agents publics.
A ces revendications, d’autres se sont greffées, le respect des libertés syndicales et la lutte contre la corruption. Le renoncement à l’IUTS sur les primes et les indemnités a été posé comme un préalable à toute discussion avec le gouvernement. C’est cela ou rien. Et cette grève générale est un moyen de pression des syndicats ou un épouvantail pour ramener les autorités à de meilleur sentiment.
Au moment où nous tracions ces lignes, rien n’indiquait un fléchissement des positions dans les deux camps. La grève générale est donc inéluctable. Qu’en sera-t-il de son impact sur une économie déjà malmenée par quatre ans de lutte contre le terrorisme avec son cortège de déplacés internes à gérer.
La dernière grève générale décrétée par les syndicats et qui avait été relativement suivie a eu lieu lors de la tentative de putsch du Général Gilbert Diendéré en 2015. Le contexte aujourd’hui est différent. La pomme de discorde n’est pas un sujet qui mobilise les masses populaires, les syndicats sont divisés, jusqu’aux travailleurs, les partis politiques également et les commerçants sont à l’affût de la tournure que va prendre ce bras de fer. Mais, il ne faut préjuger de rien.
Traditionnellement, les secteurs de la santé et de l’éducation, de l’administration fiscale et dans une certaine mesure, celui de la Justice sont ceux qui mobilisent le plus lors des mots d’ordre de grève. C’est dans ces secteurs que l’on pourrait observer des blocages dans l’administration publique.
Déjà, les effets des « frappes chirurgicales » annoncées lors du meeting du 26 février dernier sont ressentis en termes de ralentissement dans certains services. Les évaluations sont suspendues dans les écoles publiques, les services des Impôts et du Trésor tournent au ralenti. Le risque est grand que ces secteurs soient à l’arrêt.
Pour la réussite de leur mouvement, les syndicats ont décidé de mettre la pression sur les potentiels non grévistes.
Dispositions règlementaires en cas de grève
C’est à ce niveau que le gouvernement les attend. Son plan de riposte ne prévoit pas de nouvelles mesures sinon que l’application effective des dispositions règlementaires en cas de grève.
Comme à l’accoutumée, des réquisitions seront servies et on apprend que des dispositions seront prises pour protéger ceux qui voudraient travailler et permettre d’assurer un service minimum aux usagers. Au niveau des services des Impôts et du Trésor, les Directeurs généraux et receveurs ont pour mission de veiller à ce que les contribuables qui viennent acquitter leur devoir ne se retrouvent en face de caisses fermées. Par ailleurs, on annonce que les procédures nécessaires seront engagées contre ceux qui refuseraient les réquisitions et contre les auteurs de perturbations de la bonne marche des services.
Mais le gouvernement ne compte pas en rester là. Il entend également faire jouer le Décret N° 2008-741/PRES/PM/MTSS/MEF/MFPRE/MJ/DEF du 17 novembre 2008 portant cessions, saisies et retenues sur les rémunérations et pensions de retraite des agents publics de l’Etat, des magistrats, des militaires et des travailleurs salariés du secteur privé. Ainsi que l’arrêté conjoint 2013-195 / MEF-MFPTSS portant procédures de traitements et modalité de liquidation des retenues pour faits de grève. (Voir extrait dans les encadrés). Apparemment, le gouvernement va en user au maximum pour tenter de démobiliser les grévistes. C’est un pari risqué, mais il a la couverture de la loi.
Il y a cependant des incertitudes liées à cette grève générale. Le secteur informel, les commerçants des yaars et marchés vont-ils tous entrer dans la danse ? Pas si sûr. A leur niveau, il y avait des voix discordantes par rapport à l’objet de la grève. Au moins deux organisations se démarquent de cette grève générale selon nos informations.
Il est de même dans le secteur des transports voyageurs et de marchandises. Nos sources indiquent que les services seront disponibles. Du côté du patronat, on annonce que les gares resteront ouvertes. Reste l’attitude des syndicats des chauffeurs routiers. Le principal syndicat est affilié au CSB qui n’est pas signataire du préavis. En principe, la situation devrait être calme dans le secteur de l’eau et de l’énergie ainsi que du côté de l’industrie. Aux dernières nouvelles, le gouvernement, à travers une correspondance, a invité les syndicats à discuter. Ceux-ci n’ont pas rejeté la main tendue, mais se prononceraient en avril
FW
A propos des taux de cession et de saisie des salaires
Voici ce que dit l’Article 3 du Décret N° 2008-741/PRES/PM/MTSS/MEF/MFPRE/MJ/DEF du 17 novembre 2008 portant cessions, saisies et retenues sur les rémunérations et pensions de retraite des agents publics de l’Etat, des magistrats, des militaires et des travailleurs salariés du secteur privé.
« Les rémunérations et pensions visées à l’article 1 du présent décret sont cessibles ou saisissables suivant les proportions ci-après :
Du SMIG à 75.000 francs, le taux applicable est de trente-trois virgule trente-trois pour cent (33,33%) ;
De 75.001 francs à 100.000 francs, le taux applicable est de quarante pour cent (40%) ;
De 100 001 francs à 200.000 francs, le taux applicable est de quarante-cinq pour cent (45%)
De 200.001 francs à 300.000 francs, le taux applicable est de cinquante pour cent (50%) ; au-delà de 300.000 francs, le taux applicable est de cinquante-cinq pour cent (55%). »
Ce décret est complété par l’arrêté conjoint 2013-195 / MEF-MFPTSS portant procédures de traitements et modalité de liquidation des retenues pour faits de grève qui définit les modalités.
Grève générale: le regard de Lionel Bilgo sur les impacts éventuels
Lionel Bilgo est communicateur et analyste politique et responsable d’une agence en conseils et stratégies. L’auteur du livre « « Burkina Faso : Du rêve à l’action, créons demain » partage son analyse de la situation
« Sans nul doute que les grèves annoncées auront un impact majeur sur l’économie de notre pays. On le sait, car les grèves sectorielles vécues en 2019 avaient fait perdre à l’État burkinabé plusieurs milliards de francs CFA, or ici, les grèves qui s’annoncent ont des allures de « grèves générales » si l’on s’en tient au nombre de syndicats adhérents aux principes de la manifestation.
Cette crise aura également un impact politique du fait de son envergure, mais surtout et aussi du fait des positions tranchées des protagonistes. Nous avons là deux acteurs qui ont laissé peu (ou pas du tout) de place au dialogue. Le gouvernement a déjà fait sa démonstration de force en faisant adopter la loi à l’Assemblée nationale et en ponctionnant sur le salaire des fonctionnaires la taxe disputée.
Les syndicats semblent refuser tout dialogue tant qu’ils n’auront pas, je crois, fait à leur tour une démonstration de force et de capacité de nuisance au bon fonctionnement de l’Administration. Quelle mouche a bien pu piquer l’Exécutif pour qu’il mette en application une mesure de début de mandat à quelques heures d’une élection à laquelle il compte demander à nouveau la confiance du peuple ? Cette question exhume l’hypothèse d’un vote sanction de tout ou partie des fonctionnaires (sans compter leur cercle d’influence) si toutefois la crise venait à perdurer.
A ce stade, le dialogue exige un certain nombre de prérogatives. L’Exécutif qui est à l’origine de cette mesure ne me semble pas être le bon acteur pour mener un éventuel dialogue. C’est dire que suivant la gravité de la crise dans les jours à venir, il faudra s’attendre à un réaménagement de ce dernier.
La question qui reste en suspens est celle d’une négociation sans perdre la face. Si le gouvernement recule (ce qui n’est pas exclu), c’est le peu de légitimité qui lui reste, car cette dernière est déjà mise à mal, qui vole en éclats. Reste donc à identifier les garanties à donner aux fonctionnaires pour l’instauration d’un moratoire afin d’ouvrir en toute sérénité le chapitre d’une réflexion inclusive pour l’avènement d’un nouveau contrat social ».
La plateforme revendicative des syndicats
Arrêt des mesures de baisse du pouvoir d’achat et amélioration de celui-ci en rapport avec le coût de la vie :
Suppression de l’IUTS sur les primes et indemnités des travailleurs du privé, du public et du parapublic, le remboursement des coupures opérées sur la base de la loi de finances gestion 2020 ;
Relèvement de l’abattement forfaitaire pour frais et charges professionnels à 50% ;
Apurement sans délai des retards d’avancement, de reclassement, de titularisation et correction indemnitaire avec incidence financière ;
Arrêt des atteintes aux libertés démocratiques et syndicales :
Respect de la liberté de manifestation sur la voie publique (sit-in, meetings, marches, …) ;
Respect de la liberté syndicale, notamment, des conventions 87 et 98 (droit d’organisation, de grève et levée de toutes les sanctions prises à l’encontre de travailleurs pour raison syndicale) ;
Finalisation de la révision du Code du travail dans le respect des dispositions des conventions de l’OIT et des avis pertinents du BIT ;
Opérationnalisation du check off ;
Suppression des nouvelles dispositions du Code pénal révisé portant atteinte aux droits fondamentaux du peuple (liberté d’expression, droit à l’information, à l’insurrection, …) ;
Arrêt du pillage des ressources nationales :
Accompagnement conséquent de la Justice pour faire la lumière sur les crimes économiques révélés entre autres par les enquêtes parlementaires, les rapports de l’ASCE/LC, de la Cour des comptes et du REN-LAC et la sanction de leurs auteurs;
Dénonciation de la convention révisée du Rail avec Bolloré en vue de privilégier les intérêts de l’Etat et des populations ;
Elaboration d’un fichier unique informatisé du foncier pour une saine gestion du foncier ;
Recouvrement sans délai des sommes dues au Trésor public par les contribuables indélicats et les hauts dignitaires ;
Relecture du Code minier en vue de prendre en compte les intérêts du pays, recouvrement du Fonds de développement local et arrêt des exonérations injustes accordées aux sociétés, notamment, aux sociétés minières ;
Garantie du droit à la sécurité des populations :
Accompagnement conséquent de la Justice pour l’établissement de la vérité et le jugement des différents cas de crimes de sang, notamment, les dossiers de l’insurrection populaire, de l’assassinat des responsables de l’ODJ dans le Yagha et l’exécution des mandats d’arrêt émis par la Justice ;
Mise en œuvre effective de l’article 2 de la Constitution du 2 juin 1991 disposant que ‘’la protection de la vie, la sûreté et l’intégrité physique sont garanties’’ ;
Prise en charge adéquate des familles des victimes du terrorisme, des déplacés internes et adoption de mesures en vue de leur retour dans leurs localités d’origine ;
Le respect et la mise en œuvre des différents engagements pris par le gouvernement vis-à-vis des syndicats des travailleurs.