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Nouvelles technologies et éducation: Les SMS pour améliorer les compétences éducatives

De nombreuses preuves, provenant principalement de pays à revenu élevé, montrent qu’une participation accrue des parents dans l’éducation de leurs enfants contribue à leur réussite scolaire. Au Brésil, par exemple, un programme qui envoyait des messages SMS à des parents pour les encourager à suivre de près la vie scolaire de leurs enfants a entraîné une fréquentation accrue des élèves à l’école ainsi que de meilleures notes.

Sharon est Professeure adjointe à l’Université de Pennsylvanie (Graduate School of Education). Sa recherche a pour but de déterminer comment les politiques et les programmes peuvent cibler au mieux les facteurs de changement dans les environnements familiaux et scolaires des enfants défavorisés. Elle se concentre sur la pauvreté familiale et le développement de l’enfant, la qualité de l’éducation, ainsi que les interventions en milieu scolaire.
En ce qui concerne l’apprentissage, le niveau de français et de mathématiques des élèves de CP2 dont les parents ont reçu des encouragements s’est amélioré d’une ampleur équivalente à environ 1,5 trimestre d’avance sur les élèves dont les parents n’avaient reçu aucun message. (DR)
Guilherme est Professeur adjoint au département d’Économie et Directeur de recherche au Center for Child Well-being and Development dans l’Université de Zurich. Il fait des recherches expérimentales pour étudier les impacts de la pauvreté sur la prise de décision. Il fait aussi des recherches expérimentales pour étudier la corruption et la capacité de l’État. Guilherme est titulaire d’un Doctorat en Économie politique et gouvernement de l’Université de Harvard et il a été reconnu par le MIT Technology Review comme le meilleur innovateur social des moins de 35 ans au Brésil en 2014. Plus d’informations peuvent être trouvées sur https://www.poverty-action.org/people/guilherme-lichand

Dans de nombreux pays en développement cependant, bien que la fréquentation scolaire ait augmenté ces dernières années, aucune amélioration des résultats d’apprentissage chez les enfants n’a été observée. De plus, lors d’évaluations récentes au Ghana et au Malawi, il a été montré que plus de quatre cinquièmes des élèves finissant la deuxième année scolaire (équivalent au CP2) étaient incapables de lire un mot familier comme ‘chat’.

Ce phénomène, communément appelé ‘crise mondiale de l’apprentissage’, ne fait pas exception en Côte d’Ivoire, où le taux d’alphabétisation des jeunes et des adultes est estimé à 53% et 44% (Institut de statistique de l’UNESCO), avec des chiffres encore plus alarmants pour les femmes et les enfants pauvres. Dans ce contexte, aller à l’école en Côte d’Ivoire ne garantit pas que les enfants apprennent. Par conséquent, bien que le gouvernement ivoirien se soit engagé à fournir une éducation de base universelle pour tous les enfants de 6 à 16 ans, les taux d’inscription restent relativement faibles.   11De plus, d’autres aspects communément reconnus comme entravant l’engagement des enfants dans le processus d’apprentissage, tels que leur motivation et leur bien-être social et émotionnel, ne font aucunement partie du cursus scolaire ivoirien et ont rarement été étudiés dans le contexte ouest-africain. Est-il par conséquent réaliste d’espérer une amélioration de la fréquentation scolaire et de meilleures notes en Côte d’Ivoire avec la mise en place d’un programme similaire à celui du Brésil ? Dans ce contexte, Innovations for Poverty Action (IPA), l’Université de Zurich et l’Université de Pennsylvanie, en partenariat avec Movva (la start-up qui anime Eduq +) et le programme TRECC (financé par la Fondation Jacobs), ont mis en place, dans les écoles primaires ivoiriennes, un programme basé sur l’envoi de messages (SMS et audio) visant à augmenter la fréquentation scolaire, diminuer le redoublement et améliorer l’apprentissage. L’étude a été réalisée dans le cadre d’un essai randomisé contrôlé (ERC) auquel participaient 100 écoles localisées dans deux régions de Côte d’Ivoire.

Dans 25 écoles, les parents d’élèves recevaient des encouragements par messages audio durant toute l’année scolaire 2018-2019 alors que dans 25 autres, ils recevaient les mêmes encouragements par SMS. Un message par semaine concernait la fréquentation ou les résultats scolaires de l’enfant, tandis que deux autres par semaine, envoyés par Movva, contenaient des suggestions d’activités simples pour aider au développement socio-émotionnel de l’enfant. Un exemple de message est: ‘Il a été prouvé que les châtiments corporels font que les enfants apprennent moins à l’école. Construire le respect nécessaire pour la conversation fonctionne mieux’, ou encore: ‘Quand avez-vous joué pour la dernière fois avec votre enfant? Demandez-lui à quoi il aimerait jouer et jouez avec lui’.

Afin de permettre une évaluation fiable de l’effet du programme Eduq+, 50 autres écoles étaient assignées à un groupe de contrôle où les parents ne recevaient aucun message. En plus des messages aux parents, certains enseignants, répartis dans les 100 écoles étudiées, recevaient des SMS hebdomadaires avec des conseils sur les activités à faire avec leurs élèves et des moyens de personnaliser leurs cours afin d’améliorer l’apprentissage des enfants. Ces conseils avaient, au préalable, été approuvés par le ministère de l’Éducation nationale (MEN) pour minimiser le risque qu’ils changent le style pédagogique des enseignants d’une manière qui pourrait avoir un impact négatif sur certains élèves.

Les résultats de cette intervention, détaillés ci-dessous, peuvent être répartis en trois conclusions principales:

– Lorsque les messages sont envoyés aux parents uniquement, l’apprentissage des enfants augmente et les croyances des parents concernant les capacités de leur enfant s’améliorent;

– Lorsque les messages sont envoyés aux enseignants uniquement, il n’y a aucun effet sur les résultats d’apprentissage des enfants, mais les enseignants font moins d’efforts et déclarent vouloir quitter leur poste si les parents s’impliquent trop;

– Lorsque des messages sont envoyés simultanément aux parents et aux enseignants, les résultats deviennent négatifs par rapport au groupe de comparaison.

Plus particulièrement, en ce qui concerne la fréquentation scolaire, les encouragements aux parents diminuent le redoublement de 33% chez les élèves de CM2, ils diminuent l’abandon scolaire pour toutes les classes, avec jusqu’à plus de 50% de diminution pour les élèves de CP2, et ils diminuent de manière substantielle le nombre d’absences parmi les élèves de CP2 et de CE2. En ce qui concerne l’apprentissage, le niveau de français et de mathématiques des élèves de CP2 dont les parents ont reçu des encouragements s’est amélioré d’une ampleur équivalente à environ 1,5 trimestre d’avance sur les élèves dont les parents n’avaient reçu aucun message. Des résultats supplémentaires ont également montré que les messages d’encouragement adressés aux parents ou aux enseignants rendent les parents plus optimistes quant à l’apprentissage de leurs enfants et aussi moins susceptibles d’adopter des châtiments corporels. De plus, en comparant l’impact des SMS et des messages audio, l’évaluation a montré que les messages audio ne fonctionnent que légèrement mieux.

Comme mentionné ci-dessus, tandis que les messages aux enseignants n’ont aucun impact sur les résultats scolaires et l’apprentissage des enfants, les encouragements simultanés aux parents et aux enseignants ont même contrebalancé tout effet positif généré par les encouragements aux parents uniquement. Ces résultats mettent en lumière un fait intéressant apparaissant lorsque les parents et les enseignants travaillent ensemble en Côte d’Ivoire, qui est que les croyances sur la répartition des rôles entre les parents et les enseignants sont fortes quand il s’agit de l’éducation des enfants. Autrement dit, les parents et les enseignants pensent qu’ils ont chacun un rôle précis à jouer dans ce contexte, et que leurs efforts ne peuvent s’additionner. En fait, chaque partie réduit l’effort fourni dans l’éducation de l’enfant si elle pense que l’autre partie s’investit plus dans ce but. Bien que cette conclusion puisse sembler créer plus de questions que de réponses, elle est cohérente avec les conclusions d’une autre étude, conduite par Prof. Wolf et d’autres chercheurs, qui montre qu’un programme de formation des enseignants fondé sur des entretiens en personne au Ghana a de très grands effets lorsque seuls les enseignants sont ciblés, et qu’envoyer simultanément des SMS aux parents tend à annuler tout effet positif. Bien que cette dernière étude n›évalue pas l’effet lorsque seuls les parents recevaient des SMS, les résultats des deux études sont conformes aux normes sociales et illustrent le fait qu’il est essentiel de comprendre ces normes et les croyances propres à chaque partie pour concevoir des interventions efficaces afin de soutenir l’apprentissage. Dans le cas particulier de la Côte d’Ivoire, nous pouvons conclure que cibler uniquement les parents est l’approche la plus efficace pour obtenir des résultats positifs.

En ce qui concerne la mise en pratique des résultats à grande échelle, les conclusions de cette étude permettront au MEN de parvenir de manière stratégique et efficace à réduire le redoublement scolaire, ce qui demeure son objectif principal. Les résultats auront également permis de mettre en lumière des canaux pour comprendre de manière plus approfondie la science de l’apprentissage dans le contexte de l’Afrique de l’Ouest. Eduq+ est en effet un programme mis en œuvre par les écoles et conçu pour que les écoles se l’approprient et le poursuivent au-delà de la période d’étude. Finalement, en plus du niveau local, ces activités auront des impacts au niveau global: elles serviront à informer des chercheurs d’envergure mondiale sur les interventions ciblant l’implication des parents dans l’éducation, ainsi que sur la variation de l’impact en fonction des caractéristiques des parents et des enfants en Afrique de l’Ouest, qui est un contexte géographique peu étudié. Ceci fera à son tour avancer la science appliquée du champ de l’éducation.o

Innovations for Poverty Action (IPA)

Encadré

IPA en bref

Innovations for Poverty Action (IPA) a pour mission de découvrir et de divulguer des solutions efficaces pour lutter contre la pauvreté́ dans le monde. En partenariat avec les décideurs politiques, IPA conçoit, évalue rigoureusement et aide à améliorer les programmes de développement ainsi que la manière dont ils sont mis en œuvre. Pour en savoir plus poverty-action.org.o

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