Chronique

VERS LA CRÉATION DE LA ZONE DE LIBRE ÉCHANGE CONTINENTALE (ZLEC):  Des mises en garde aux Etats africains en ce qui concerne les questions de propriété intellectuelle

I-Première Partie

Le champ de la zone de libre-échange continentale (ZLEC) inclut les règles sur la politique de concurrence et les droits de propriété intellectuelle. Il est prévu que des négociations s’ouvrent à leur sujet après la conclusion de celles portant sur les biens et services. S’il est inhabituel que des règles sur la politique de concurrence et les droits de propriété intellectuelle soient inclus dans un accord de libre-échange classique, ils peuvent toutefois créer des conditions équitables pour les opérateurs économiques et faciliter la convergence des politiques dans le cadre de régimes communs de libéralisation des biens et services.

La ZLEC offre à l’Afrique l’occasion de prendre une nouvelle direction dans la gestion des connaissances. Cette dernière inclut la propriété intellectuelle et s’étend aux structures juridiques, économiques, sociales, culturelles, politiques et technologiques, qu’elles soient officielles ou informelles, qui encadrent les possibilités et les moyens d’acquérir ou de consulter des connaissances (Open AIR, 2016). L’Afrique pourra, dans cet élan, redéfinir le calendrier des négociations concernant les accords commerciaux Nord-Sud qui incluent les questions de propriété intellectuelle. Les pays africains doivent à cette fin fixer en premier lieu leurs priorités fondamentales dans ce domaine, et tirer parti de la grande dynamique de l’innovation qui a cours en Afrique (de Beer et coll., 2014). Si la ZLEC peut fixer le cadre de gestion des droits de propriété intellectuelle, leur inclusion dans les accords de libre-échange suscite une forte résistance.

Mise en garde sur les clauses de la propriété intellectuelle des accords commerciaux

Les erreurs de forme et de fond commises au sujet des questions de propriété intellectuelle ont contribué à nourrir la résistance menée contre les accords commerciaux. L’inquiétude est née des négociations sur l’Accord de l’OMC relatif aux aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC). Cet Accord a en effet fortement favorisé les intérêts des pays les plus développés. Les questions de propriété intellectuelle, notamment, les politiques numériques et culturelles et les brevets sur les médicaments, s’inscrivent parmi celles qui ont suscité l’aversion envers le Partenariat transpacifique (Geist, 2016 ; Balsilie, 2016 ; FMI, 2016 ; Mui, 2017). Les accords exclusivement dédiés aux questions de propriété intellectuelle ont connu le même sort. Le faux pas le plus marquant est celui du groupe de pays ayant tenté de promouvoir une politique de propriété intellectuelle inopportune dans le cadre d’une procédure non démocratique -cette dernière a abouti à l’Accord commercial anti-contrefaçon-. Si le Maroc a été le seul pays africain à rejoindre les alliés inattendus de cet accord commercial, sa participation doit inciter le reste du continent à agir. Les problèmes de forme et de fond posés par l’Accord ont été détaillés dans de multiples documents de travail, l’édition spéciale d’une revue et même un ouvrage (Roffe et Seuba, 2015). L’Accord est considéré comme « un enseignement sur ce qu’il ne faut pas faire dans la négociation d’un accord de coopération internationale pour l’application des lois » (Weatherall, 2011). Des aspirations protectionnistes sont apparues à chacune de ces occasions, afin de préserver les souverainetés nationales dans la gestion des connaissances, de limiter la marchandisation de l’information et de sauvegarder le domaine public. Une réalité commune prévaut dans ce contexte : quel que soit leur niveau de développement, les pays ont été aidés par des associations de la société civile et sont devenus plus astucieux en matière de propriété intellectuelle, depuis les négociations conduites dans les années 90 sur l’Accord relatif aux ADPIC. Ils ont ainsi refusé de rester inactifs lorsque des dispositions injustes étaient intégrées au sujet de la propriété intellectuelle à des accords commerciaux internationaux. Les négociateurs ont une idée claire de ce qui doit être évité mais sont moins certains de la manière de mettre à jour les aspects dépassés de la propriété intellectuelle qui datent du siècle dernier.

Sur le continent, l’expérience de la Communauté de l’Afrique de l’Est dans l’élaboration des politiques et des règlements anti-contrefaçon constitue également un avertissement. La CAE a en effet élaboré un projet de politique contre la piraterie, la contrefaçon et la violation des droits de propriété intellectuelle, ainsi qu’un projet de loi anti-contrefaçon, et aucun des deux textes n’a été adopté (Ncube, 2016). La principale critique a été que ces projets reprennent les dispositions ADPIC-plus qui sont inadaptées aux pays les moins avancés de la CAE (la Haute Cour kényane a invalidé les dispositions de même nature de la Loi kényane anti contrefaçon). L’erreur de la CAE a été de sous-estimer la complexité des questions de propriété intellectuelle, de faire indûment confiance aux discours des lobbyistes et de consulter insuffisamment les experts locaux et la société civile.

Une intégration commerciale régionale qui inclut la propriété intellectuelle reste toutefois possible malgré le retrait américain du Partenariat transpacifique et l’abandon de l’Accord commercial anti-contrefaçon et d’autres accords imparfaits.

Le Canada et l’Union européenne ont surmonté des situations difficiles pour sauver l’Accord économique et commercial global (CETA). Les négociations sur le Partenariat économique global régional, initié entre l’Australie, la Chine, l’Inde, le Japon, la Nouvelle-Zélande, la République de Corée et 10 pays de l’Association des nations du Sud-Est asiatique se poursuivent. Les perspectives sont également bonnes pour l’intégration économique panafricaine. Des enseignements doivent toutefois être tirés de l’expérience des initiatives défaillantes. De nouveaux efforts doivent être déployés pour assurer que les négociations seront consultatives, ouvertes à tous, soucieuses des effets induits pour la liberté d’expression et la vie privée des personnes ; et respectées en raison de leur légitimité démocratique et de leur bénéfice pour le développement. o

15 février 2021

1  Article tiré d’un document réalisé par l’Union Africaine(UA), la Commission économique pour l’Afrique(CEA) et la Banque africaine de développement (BAD) intitulé : Vers la création de la Zone de libre-échange continentale : État de l’intégration régionale en Afrique (ARIA VIII, octobre 2017).

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