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Production agricole à Bagré: faut-il rire du riz* ?

• Besoins des unités de transformation locales par campagne estimés à 234.000 tonnes

• Potentiel de la plaine de 35.000 – 40.000 tonnes

• Réduction des surfaces de production par manque d’engrais et de main d’œuvre

Abbé Jean Paul Yoda, gérant de Kokuma SARL : « Le laisser-aller dans l’installation des transformateurs est total et ils bouleversent les règles établies ». (DR)

Sur la plaine agricole de Bagré, dans la région du Centre-Est, le riz occupe la grande partie des surfaces de production. La capacité de production est estimée à 3.100 hectares par campagne et dans l’année, il y a deux campagnes.  Ce qui donne un potentiel de 6.200 hectares par an, avec des rendements potentiels à l’hectare compris entre 4 tonnes et 5,5 tonnes. La production annuelle probable tourne autour de 33.550 tonnes de riz. Malheureusement, ces chiffres ressemblent à une chimère sur le terrain. Les difficultés sont les choses communes aux différents acteurs de la chaîne. Chaque maillon vit ses propres contraintes et chaque contrainte freine l’élan entamé depuis l’aménagement de la plaine et affecte ainsi la production. 

Toutes les unités de transformation disposant de machines modernes comme UDIRBA+ et Kokuma fonctionnent en deçà de leurs capacités, faute de riz paddy. (DR)

Harouna Saré est dans la production du riz depuis une quinzaine d’années. Dans son champ de deux hectares au niveau du Canal secondaire 3 qu’il a exploité cette année, il espère récolter 3 tonnes et demie par hectare.  Le 13 mai 2024, il y était pour superviser d’ailleurs le début de la récolte. Il reconnait qu’il est en deçà de ses capacités non seulement au niveau de la superficie exploitée, mais aussi au niveau du rendement. Cela est imputable à l’absence de machines pour les travaux, notamment, le labour, l’insuffisance de l’engrais, le manque de main d’œuvre et l’incertitude liée à l’écoulement.  « Le coût de l’engrais est cher sur le marché et la subvention ne couvre pas tous les besoins. Il faut de l’engrais, car le sol est fatigué et il faut le nourrir, vu que l’exploitation date de 2001 au moins », renchérit Laurent Zaré. Producteur de riz depuis 2014, dans le village 03 de la rive gauche (V3 Rive gauche), il est le trésorier de la coopérative Koumalè, forte de 53 membres. Bien que la condition minimale pour faire partie de la structure soit d’avoir au moins un hectare, la production, elle, est en moyenne de 35 tonnes. Laurent lui-même avoue avoir dû se contenter d’un hectare sur les deux à sa disposition par manque d’engrais. Les besoins de Koumalè en engrais sont estimés à 20 tonnes et les membres ont dû se résoudre à travailler avec à peine dix tonnes d’engrais à prix subventionné.

Le prix du reste sur le marché étant hors de leur portée, certains ont réduit leurs superficies et d’autres ont décidé d’attendre carrément la prochaine campagne. En plus de ces facteurs qui affectent la production, il faut également compter la particularité de chaque campagne comme une cause de la baisse de l’adhésion des producteurs : « La production en saison sèche demande plus d’efforts et d’investissement, contrairement à la saison humide.  En saison sèche, par exemple, on doit utiliser les machines pour pomper l’eau du barrage vers les champs, utiliser plus d’engrais. Pendant la saison pluvieuse, l’eau des pluies suffit en grande partie aux semis, on n’a pas besoin de tout cela », ajoute Laurent Zaré.

Dans la production de riz, la première campagne finance la deuxième. C’est-à-dire que c’est avec l’argent issu de la vente d’une campagne que les producteurs financent la prochaine. La première va de décembre à mai et la seconde de juillet à novembre. Lorsqu’il y a un retard dans l’écoulement ou/et la paie des producteurs, cela entraine une paralysie du cycle.  Il arrive donc que certains producteurs se retrouvent en chômage technique pour absence de liquidité pour acquérir des intrants ou dans l’impossibilité de respecter le calendrier agricole.

Les transformateurs aussi se cherchent

Kokuma SARL transforme et met sur le marché de la consommation, du riz sous l’appellation « Bagré maryam mui » conditionné en 5, 25 et 50 kg. Installé à Bagré en 2013, avec une machine d’une capacité de transformation de 10 tonnes par jour, elle est passée à 40 tonnes/jour depuis 2021, avec l’acquisition d’une nouvelle grande machine. Depuis lors, l’unité transforme seulement 10.800 tonnes l’année. A la date du 14 mai 2024, l’usine était à 2.000 tonnes de riz transformé, soit -20% d’exploitation. « La matière première ne suffit pas. De plus en plus, la quantité produite sur la plaine ne suffit plus. Même avec l’ensemble des surfaces aménagées, si toutes les usines vont fonctionner, la plaine ne peut pas assurer l’approvisionnement en matière première. Selon les chiffres à ma disposition, les besoins des unités par campagne tournent autour de 234.000 tonnes, alors que la production pleine de la plaine tourne autour de 35.000-40.000 tonnes », explique Abbé Jean Paul Yoda, gérant de Kokuma SARL 

Cette peine est partagée par l’Unité diocésaine de riz de Bagré + (UDIRBA+) qui est à Bagré depuis 2006 et qui s’est dotée d’une capacité de transformation de 60 tonnes/jour à partir de 2016. Actuellement, sa production moyenne est de 3.000 tonnes, faute de matière première. Trois facteurs principaux expliquent cette situation : l’insuffisance du riz sur le terrain, une tension de trésorerie et le nombre élevé des transformateurs.  « Il y a une semaine, nous avons fini notre stock de riz paddy et on attend un nouveau stock, parce que le riz même n’est pas suffisant au niveau des producteurs.  Nous avons 3 à 4 mois de flottement dans l’année. Quand on écoule le riz, il faut engranger des ressources pour se relancer, mais ce n’est pas toujours le cas. Nous avons 400 millions FCFA de créances à recouvrer et ça devient difficile de tenir. Le nombre de transformateurs sur place dépasse largement l’offre », indique le gérant, Abbé Pascal Zougmoré.

Chaque difficulté requiert une attention particulière, certes, mais les factures impayées risquent de gripper la machine beaucoup plus rapidement. C’est la conviction de l’Abbé Jean Paul Yoda : « Comme nous n’avons pas les moyens des grandes entreprises, on prend des crédits en banque, on essaie de racheter le produit des producteurs au comptant pour ne pas les faire trainer, on se débrouille pour décortiquer et livrer à des structures de l’Etat en espérant être payé dans les délais. J’ai plus de 150 millions FCFA au Trésor public, des factures de 2022 et de 2023, donc près de 2 ans maintenant.  Si la banque n’est pas remboursée, on ne peut plus faire de levée de fonds. Il y aura la matière première mais pas les moyens pour acheter. Tant qu’il n’y a pas de l’argent pour payer au comptant, les producteurs ne donnent plus leur riz à crédit. La population, consommatrice, n’aura pas de riz blanc. Tant que les choses ne sont pas alignées, l’échec est programmé ».

Bagré Pôle compte bien assumer sa responsabilité

Il a déjà fait le tour d’autres zones de production, notamment, Banzon, Bama, Toma pour s’approvisionner en riz paddy, mais l’offre n’a pas pu satisfaire sa demande. Le recours à la terre pour se mettre dans la production a aussi été envisagé l’année passée. Là encore, lui et son équipe ont été confrontés à l’indisponibilité des terrains.  « On a l’impression qu’il y a une démission de Bagré Pôle. La structure devrait faire le point des terrains non exploités, les retirer et lancer l’appel d’offres pour ceux qui sont intéressés. L’Etat a mis des milliards pour l’aménagement, il n’y a pas de raison qu’un champ reste inexploité pendant que le besoin est là…. La campagne humide passée, sur 10 ha, seuls 03 ont été exploités », argue-t-il.

Nommé Directeur général de Bagré Pôle en février 2024, Patarbtalé Joseph Nikièma avoue ne pas avoir la pleine mesure de toutes les difficultés qu’on rencontre sur la plaine. Néanmoins, certaines d’entre elles sont bien connues et des réponses adéquates sont en préparation. « La demande est forte et dans le même temps, toutes les terres qui ont été allouées aux entrepreneurs agricoles ne sont pas encore mises en valeur. Cela constitue évidemment un manque à gagner. Dans le cadre des réformes à venir, nous envisageons la possibilité d’alléger les conditions d’attribution des terres, de clarifier les engagements des différentes parties et de procéder à des évaluations périodiques, afin de corriger d’éventuels dysfonctionnements », a-t-il promis.

Les transformateurs engagent aussi la responsabilité de Bagré Pôle sur l’utilisation de plusieurs variétés, et surtout l’installation d’unités de transformation tous azimuts. Ce phénomène a tellement pris de l’ampleur qu’il semble aujourd’hui hors de contrôle.    « Il y a des unités qui arrivent et ferment en même temps. Les propriétaires n’ont pas de titre foncier, font une campagne et si la saison finit, ils disparaissent », affirme Abbé Pascal Zougmoré. Le gérant de Kokuma est plus que remonté : « Je ne saurai vous donner le nombre exact de transformateurs à Bagré, car le laisser-aller est total. A titre d’exemple, avant chaque campagne, nous tenions des rencontres avec les producteurs pour nous entendre sur les différents prix. Ils viennent après fixer des prix en ajoutant 10 ou 20 F et bouleversent les règles établies ».

En la matière, Bagré Pôle prévoit des mesures pour l’encadrement de la production, comme le précise DG Nikièma : « Dans les jours à venir, nous allons concerter les différents acteurs pour mieux organiser l’ensemble des activités de production et de transformation sur la plaine. J’attends particulièrement pour le riz et toutes les spéculations qui seront pratiquées ici, un minimum sur les variétés, un minimum sur les calendriers culturaux et un minimum sur les campagnes qui seront conduites. A ce titre, on aura des sessions de travail de programmation et des sessions de travail de bilan pour permettre à chacun à son niveau d’avoir la meilleure visibilité possible de tout ce qui se fait sur la plaine ».

Moumouni SIMPORE

*Titre tiré de l’unité lexicale « mieux vaut en rire qu’en pleurer », il ne faut pas s’en attrister ; il est préférable de s’en moquer pour atténuer sa douleur, sa désolation.

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