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Investir dans l’économie bleue durable

GENÈVE –L’économie des océans permet à des millions de personnes de gagner leur vie, et sous-tend certaines des industries les plus importantes au monde. Qu’il s’agisse du transport maritime, qui achemine 80 % des échanges commerciaux mondiaux, ou des câbles sous-marins de fibre optique, qui transmettent 95 % des données à travers le globe, les océans sont profondément ancrés dans nos sociétés et notre quotidien. D’après certaines prévisions, les secteurs qui reposent sur les océans pourraient générer plus de 3.000 milliards $ chaque année d’ici 2030.
Les océans constituent toutefois beaucoup plus qu’un simple moteur économique. Principaux régulateurs naturels du climat de la planète, ils absorbent environ 30 % des émissions de dioxyde de carbone, captent 90 % de l’excès de chaleur, et stockent 50 fois plus de carbone que l’atmosphère. La capacité des océans à fournir ces services vitaux est malheureusement aujourd’hui proche d’un point de basculement.
La nécessité d’investir dans des solutions durables n’a jamais été aussi forte, et cette démarche offre une opportunité unique de débloquer des flux financiers à grande échelle. L’économie des océans représente, en effet, aujourd’hui, un nouvel univers d’investissement de plusieurs milliers de milliards de dollars, couvrant une multitude de secteurs qui dépendent d’un environnement océanique sain : énergies renouvelables, infrastructures côtières, ports, transport maritime, pêche durable ou encore aquaculture. Le coût de l’inaction est tout simplement trop élevé, et ne cesse d’augmenter.
Ces opportunités demeurent malheureusement trop peu exploitées. Bien que les prévisions annoncent une croissance rapide de l’économie bleue au cours des prochaines années, jusqu’à plus de 3.200 milliards $ d’ici 2030, un déficit majeur de financements continue d’entraver le développement et l’innovation durables dans le domaine des océans.
Les phénomènes météorologiques extrêmes, l’élévation du niveau de la mer et l’évolution du littoral perturbant de plus en plus les zones côtières et les industries clés, ce déficit constitue une grave menace pour la résilience climatique et la croissance économique à long terme.
Entre 2012 et 2022, seulement 13 milliards $ ont été investis dans la durabilité des océans, principalement dans le cadre de l’aide publique au développement, ainsi que de sources philanthropiques. Cette situation témoigne d’une perception largement répandue selon laquelle les entreprises aux activités fondées sur les océans présenteraient davantage de risques que de possibilités de rendement, les investisseurs évoquant souvent dans ce domaine l’incertitude règlementaire, la fragmentation des marchés, et le manque de projets économiquement attractifs.
Pour libérer le plein potentiel d’une économie bleue durable, il est nécessaire que les dirigeants politiques et les chefs d’entreprise se concentrent sur trois priorités clés. Premièrement, ils doivent comprendre que les océans représentent une opportunité d’investissement à forte croissance.
La finance bleue est généralement axée sur les efforts de sauvegarde et de restauration de l’environnement, qui sont évidemment nécessaires mais insuffisants pour conduire le changement systémique nécessaire à la préservation de la santé des océans. Pour parvenir à un tel changement, il s’agira de comprendre que les projets à grande échelle peuvent, en plus d’apporter des rendements financiers, contribuer à bâtir la résilience climatique, ainsi qu’à promouvoir une croissance économique inclusive. Des projets adaptables à grande échelle et commercialement viables sont possibles dans des secteurs tels que les énergies renouvelables, le transport maritime, les infrastructures côtières, l’aquaculture industrielle ou encore les ports.
Deuxièmement, pour attirer des capitaux privés, il est nécessaire de réduire les risques liés aux investissements dans les océans. Les promoteurs et les acteurs industriels doivent travailler en étroite collaboration avec les banques multilatérales de développement, les assureurs et les organisations philanthropiques pour atténuer les risques perçus, grâce à des financements concessionnels, ainsi qu’à des garanties de première perte, afin de limiter les coûts d’investissement et d’encourager la participation du secteur privé.
Troisièmement, le pipeline des projets océaniques attractifs doit être élargi. Bien que les promoteurs évoquent souvent le manque de financements, l’un des principaux obstacles au déploiement de capitaux réside en réalité dans la faible disponibilité de projets matures et adaptables à grande échelle. Le comblement de cette insuffisance nécessitera une action coordonnée, transcendant les frontières et les secteurs.
Le secteur de l’éolien en mer constitue un modèle prometteur. Plusieurs innovations telles que les pales d’éoliennes recyclables de Shanghai Electric Wind Power illustrent, par exemple, combien le progrès peut être favorisé par le fait d’intégrer capitaux, technologies de pointe et partage de l’expertise.
Ces efforts peuvent être complétés par l’élaboration de politiques telles que le Plan national de décarbonation du Costa Rica, qui vise à faire passer le pays à 100 % d’énergies renouvelables d’ici 2050. Grâce à la mise en place de mesures strictes de protection de la biodiversité et d’encadrement de l’utilisation des sols, ce plan a permis de débloquer plus de 3 milliards $ pour le financement d’investissements dans les infrastructures d’énergies renouvelables.
En protégeant les écosystèmes marins, ainsi qu’en intégrant la résilience sociale et environnementale dans leurs modèles d’investissement, les industries aux activités fondées sur les océans peuvent également apporter une valeur à long terme aux communautés locales.
Les investissements consacrés par le port de Singapour à l’avitaillement en carburant zéro émission, ainsi que les efforts fournis par le port d’Anvers-Bruges pour promouvoir les infrastructures écologiques, par exemple, démontrent que la durabilité et le dynamisme économique peuvent aller de pair. La démarche du Forum économique mondial consistant à accélérer la transition vers des ports respectueux de la nature et de l’être humain viendra renforcer ces efforts.
Les cinq prochaines années seront déterminantes. Deux évènements à venir – la Conférence des Nations unies sur les océans, ainsi que le Forum sur l’économie et la finance bleues au mois de juin – conféreront aux investisseurs, banques de développement et dirigeants politiques l’opportunité de faire progresser les mécanismes d’investissement innovants, de favoriser les partenariats intersectoriels, ainsi que d’aligner les stratégies financières sur la vision à long terme d’une économie bleue prospère et durable.
La période actuelle se caractérise à la fois par des risques sans précédent et par de formidables opportunités. En alignant les flux de capitaux sur la régénération des océans, nous pouvons amorcer le changement systémique nécessaire à la construction d’une économie bleue résiliente, qui protège les écosystèmes marins, qui renforce les communautés, et qui assure une prospérité généralisée pour les générations futures.
Copyright: Project Syndicate, 2025.
www.project-syndicate.org

Par Alfredo Giron

Encadré

Des approches pour le développement des infrastructures bleues

Gouvernements, investisseurs et chefs d’entreprise doivent travailler ensemble pour établir des cadres règlementaires favorables, créer des partenariats public-privé, et faciliter des investissements ciblés, susceptibles de permettre à des projets viables et porteurs de changement d’exister sur le marché.
Le principal défi pour les économies du Sud émergentes et en voie de développement consiste à répondre aux préoccupations des investisseurs concernant l’incertitude règlementaire et politique, la volatilité des monnaies, le développement insuffisant des marchés de capitaux, et l’inadéquation des infrastructures financières.
Au-delà des transferts de technologie et du partage de connaissances, il est nécessaire que ces économies adoptent des approches respectueuses de la nature en ce qui concerne les industries et le développement des infrastructures bleues.

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