
ADDIS-ABEBA –Comme l’ont clairement démontré les réunions de printemps du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale cette année, le système financier mondial, mis à rude épreuve par des crises à répétition, n’est aujourd’hui plus adapté. Tandis que la croissance ralentit, que la volatilité liée au climat s’accentue, et que le surendettement s’aggrave, les outils politiques disponibles demeurent trop contraignants, fragmentés et inefficaces.
L’Afrique est depuis de nombreuses années la première victime de ces échecs. Mais plutôt que de se contenter d’appeler à une réforme, les gouvernements africains proposent de plus en plus de solutions, mettent en place des institutions, et conçoivent des innovations propices à la création d’un système financier international qui alloue plus efficacement les capitaux, capable de faire face à la multiplication des chocs et au creusement des inégalités.
Bien que les appels à la réforme soient souvent présentés comme une question d’équité, la problématique la plus urgente est celle de l’efficacité. Le système financier mondial échoue à fournir des liquidités suffisantes face aux crises, à investir dans l’adaptation face au climat, à orienter les capitaux vers des opportunités vertes à haut rendement mais sous-financées, ainsi qu’à résoudre les différends relatifs à la dette souveraine suffisamment rapidement pour préserver les acquis du développement. Il est économiquement dysfonctionnel, et en fin de compte déstabilisateur.
C’est la raison pour laquelle les États africains défendent depuis quelques années, une réforme internationale de la dette, ainsi que la possibilité de financements en monnaie locale, et appellent les banques multilatérales de développement (BMD) à jouer un rôle plus actif. Ces propositions témoignent d’une compréhension croissante d’une situation dans laquelle les défaillances structurelles font augmenter les primes de risque, découragent les investissements, et exposent de plus en plus les économies nationales aux chocs extérieurs.
Le surendettement constitue la menace la plus urgente et la plus systémique qui pèse sur le développement mondial. Plus de 30 États africains consacrent aujourd’hui davantage de fonds publics au service de la dette extérieure qu’à la santé et à l’éducation. Bien que la feuille de route mondiale du FMI concernant les dettes souveraines encourage créanciers et emprunteurs à s’asseoir plus tôt à la table des négociations, et qu’elle souligne la nécessité d’une transparence, son impact demeure limité, par manque de force exécutoire.
Les gouvernements africains réclament un cadre de résolution de la dette qui soit prévisible, fondé sur des règles, et qui réponde aux besoins de développement. Le système actuel – caractérisé par des retards, des primes de risque élevées et une mauvaise coordination entre les créanciers – ne permet pas d’aligner les incitations, de contenir les retombées négatives, ni de mobiliser l’investissement privé. Fort heureusement, la présidence sud-africaine du G20 offre au continent une opportunité unique de promouvoir des réformes audacieuses, qui ne réduisent plus seulement la dette à un handicap, mais qui y voient un catalyseur de croissance.
Parmi les efforts déployés par l’Afrique pour repenser le système financier international, intervient, notamment, la proposition consistant à réaffecter les droits de tirage spéciaux (DTS, l’actif de réserve du FMI) en tant que capital hybride pour les BMD. Formulée par la Banque africaine de développement et le G24, cette idée permettrait un effet de levier sur les DTS, tout en préservant leur statut d’actif de réserve, créant ainsi davantage d’espace pour les prêts concessionnels. Plusieurs BMD envisagent actuellement cette proposition comme un moyen de renforcer leurs bilans et de gagner en capacité de prêt.
De même, plusieurs institutions régionales, telles que la Banque de commerce et de développement, ainsi que la Banque arabe pour le développement économique en Afrique (BADEA), proposent des dispositifs collectifs d’amélioration du crédit, des plateformes de financement Sud-Sud, et des mécanismes de financement de l’action climatique adaptés aux contextes fragiles. Il ne s’agit pas seulement d’expérimentations, mais de modèles viables, qui méritent d’être adoptés et transposés à plus grande échelle par les dirigeants politiques mondiaux.
Bien entendu, les financements publics ne permettront pas à eux seuls de mobiliser le volume d’investissement nécessaire pour stimuler la croissance, bâtir la résilience, et accélérer la transition écologique. Il n’en demeure pas moins que les flux de capitaux continuent de contourner de nombreuses économies africaines, dissuadés par la perception d’un risque élevé, ainsi que par des coûts d’emprunt croissants, des instruments financiers limités, et des pipelines de projets peu étoffés.
Un certain nombre d’instruments tels que les garanties de crédit, les financements mixtes et les capitaux de première perte pourraient contribuer à rééquilibrer les profils risque-rendement, ainsi qu’à attirer des investissements privés. Pour être efficaces, il est toutefois nécessaire que ces instruments soient déployés à grande échelle, pas seulement confinés à des projets pilotes. Il est tout aussi essentiel que des réformes en amont renforcent les cadres juridiques et les capacités institutionnelles, afin de développer un solide pipeline de projets attractifs pour les investisseurs.
L’expérience de l’Afrique démontre combien il est nécessaire que les BMD soutiennent l’investissement en aval et en amont. Un angle mort persistant réside dans l’incapacité à promouvoir des financements en monnaie locale, ainsi que le développement de marchés de capitaux nationaux. La dépendance excessive à l’emprunt en devises étrangères expose les États africains à la volatilité des marchés, et conduit à l’augmentation des coûts du service de la dette. Or, les BMD et les partenaires de développement continuent de considérer les instruments en monnaie locale comme des outils marginaux ou expérimentaux.
Les programmes brésiliens Tesouro RendA+ et Educa+ peuvent servir de modèle utile. Ils démontrent le potentiel des instruments d’épargne ajustés à l’inflation et accessibles par les particuliers. Proposés par l’intermédiaire d’applications mobiles et de cartes-cadeaux, dès 1 $ d’investissement, ces outils ont permis de mobiliser avec succès des capitaux nationaux à long terme, tout en favorisant l’inclusion financière. De même, le Système panafricain de paiement et de règlement (PAPSS) – aujourd’hui opérationnel dans plusieurs banques centrales – permet des échanges transfrontaliers en monnaies locales, remédie aux frictions du marché, et constitue un modèle pour la mise en place d’un système financier plus résilient.
Dans un monde de plus en plus éprouvé par l’accumulation des chocs et la pénurie de capitaux, les gouvernements africains proposent des solutions pragmatiques, tournées vers l’avenir, qui s’attaquent aux angles morts les plus persistants du système financier international. La présidence sud-africaine du G20 confère un nouvel élan à cet agenda, en adressant un message clair : l’Afrique ne demande pas à participer au débat mondial ; elle contribue à le façonner.
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Encadré
Davantage d’investissements du secteur privé
Pour répondre efficacement aux chocs liés au climat, l’Afrique a besoin d’une boîte à outils complète, incluant swaps dette-climat, obligations vertes et facilités de financement concessionnelles permettant d’attirer des investissements privés vers les mesures d’adaptation. La Facilité du FMI pour la résilience et la durabilité constitue un pas dans la bonne direction, qu’il s’agit de développer à bien plus grande échelle. Plus important encore, cette facilité doit mobiliser davantage d’investissements du secteur privé et de financements pour l’action climatique.Le défi ne consiste pas seulement à créer de nouveaux instruments, mais également à optimiser leur mise en œuvre. Il est nécessaire que les BMD et les donateurs simplifient l’accès, améliorent la coordination, et intègrent la résilience climatique dans les stratégies nationales d’investissement.
Les priorités de l’Afrique – résolution rapide du problème de la dette, préparation aux investissements en amont, emprunts en monnaie locale, et financement de l’action climatique à grande échelle – ne constituent pas de simples demandes régionales, mais de réelles solutions systémiques, qui rendraient le système financier international plus réactif et mieux préparé à affronter les crises futures.