
• Un portefeuille de 400 millions de dollars disponible
• Vers une hausse des financements du secteur privé
• Une quinzaine de champions locaux financés
Olivier Buyoya est le Directeur régional de la Société financière internationale du Groupe de la Banque mondiale pour l’Afrique de l’Ouest, basé à Dakar au Sénégal. Il a pris part, les 27 et 28 mai 2025, à Ouagadougou, au Burkina Faso, au premier Forum sur le secteur privé, organisé par le gouvernement, le secteur privé et le Groupe de la Banque mondiale. Lequel Forum s’est attardé sur où et comment le secteur privé peut accéder aux sources de financement pour continuer à être le moteur de croissance. Pour en savoir plus sur l’apport, les projets et programmes, les investissements mis en place par la SFI pour soutenir le secteur privé burkinabè, une équipe de L’Economiste du Faso lui a tendu le micro. Un entretien réalisé le 28 mai 2025, à Ouagadougou. Lisez plutôt !
L’Economiste du Faso : Du 27 au 28 mai 2025, à Ouagadougou, s’est tenu le premier Forum sur le secteur privé au Burkina Faso, placé sous le thème : « Construire des voies durables et inclusives pour le développement ». La particularité dudit Forum est que c’est le premier du genre organisé conjointement par le gouvernement, le secteur privé burkinabè et le Groupe de la Banque mondiale. Au terme des travaux, vos attentes ont-elles été comblées ?

Olivier Buyoya, Directeur régional SFI : Nous sommes effectivement à la fin de deux jours, très intenses, de discussion entre membres éminents du secteur privé du pays regroupés et dans la Confédération générale des entreprises du Faso et des représentants du secteur public. En tant que Groupe de la Banque mondiale, nous avions été sollicités par la COGEF pour faciliter ce Forum. Nous sommes très satisfaits des échanges et des recommandations. Nos objectifs ont été parfaitement atteints. Le premier objectif de ce Forum était vraiment l’opportunité de pouvoir mettre ensemble le secteur privé et le secteur public comme les deux jambes d’un corps qui est engagé dans une bataille de développement. Comme il a été rappelé hier [NDLR : A l’ouverture du Forum, le 27 mai], par le ministre des Finances, pour avoir un Etat fort, il faut avoir un secteur privé fort. Et c’est très important, compte tenu des défis auxquels est confronté le pays, de pouvoir faire en sorte que ces deux jambes puissent fonctionner correctement.
Comment appréciez-vous le secteur privé burkinabè, et aussi pour vous, quels sont les défis sur lesquels le secteur privé burkinabè devrait actionner pour lever plus de fonds afin d’être un tremplin de créateur d’emplois des jeunes et des femmes ?
Dans le Bureau régional de la SFI, nous avons l’opportunité effectivement de travailler sur les pays de l’Afrique de l’Ouest. Le secteur privé burkinabè se distingue par deux choses. La première chose, c’est sa résilience. Dans la salle, pendant les deux jours, nous avons eu des interventions d’un certain nombre d’acteurs représentants du secteur privé dans tous ses démembrements.
Nous avons eu les champions nationaux, nous avons eu les représentants des producteurs agricoles, nous avons eu les représentantes de PME dirigées par les femmes. Et ce que nous voyons aujourd’hui, au travers des contributions réelles du secteur privé dans l’économie du Burkina Faso, c’est cette résilience. Si je prends l’exemple des producteurs agricoles, des coopératives qui sont actives dans plusieurs spéculations, ils sont confrontés aux impacts négatifs du changement climatique. Malgré la sécheresse, les pluies diluviennes, malgré les pertes agricoles qui sont occasionnées par ces impacts négatifs du changement climatique, ils se relèvent, ils continuent à produire, que ce soit le coton, que ce soit le beurre de karité, que ce soit la mangue.
Et aujourd’hui, on voit cette résilience, parce que malgré ces conditions qui peuvent être extrêmes, ils continuent à avancer, ils continuent à imaginer des solutions. Nous avons aussi une particularité, c’est que le secteur privé burkinabè est dominé par des grands opérateurs économiques burkinabè qui non seulement rayonnent ici, mais rayonnent aussi sur toute la région. Il suffit de regarder le secteur financier en Afrique de l’Ouest, et vous verrez que la part des opérateurs économiques burkinabè n’est pas en rapport avec la taille du pays ou le PIB du pays.
Cela montre qu’il y a une spécificité ici au Burkina, une forme de résilience, une forme d’innovation, une forme d’entrepreneuriat qui fait que ce pays se distingue par rapport aux autres pays en termes de dynamisme de son secteur privé. Maintenant, est-ce que cela suffit ? On pourrait aller plus loin. L’autre objectif de ce Forum était aussi de pouvoir engager avec la puissance publique, engager avec les partenaires de développement que nous sommes, des démarches pour pouvoir mettre en place ou formuler des recommandations et contribuer à aider le secteur public, le gouvernement, à continuer à mettre en place les conditions et les réformes pour accélérer le développement de ce secteur.
Quels types d’interventions la Société financière internationale (SFI) apporte au secteur privé burkinabè ?

Je vais vous répondre en parlant plutôt des interventions du Groupe de la Banque mondiale dans son ensemble, parce que ce Forum était appuyé par les deux entités du Groupe de la Banque mondiale qui est fortement engagé au Burkina Faso.
Du côté de la Banque mondiale, le portefeuille de projets en cours d’exécution s’élève à 3,7 milliards de dollars. Ce sont des financements qui sont déployés au travers des projets dans beaucoup de secteurs: la santé, l’énergie, l’agriculture, etc. Ces financements bénéficient, en grande partie, au travers des mécanismes de gestion de projets avec l’Etat, au secteur privé. Au niveau de la SFI, notre mandat est d’accompagner directement les entreprises privées et aujourd’hui, nous avons plusieurs champs d’intervention : le soutien, l’identification des champions nationaux, l’appui aux institutions de financement pour l’accès au financement, le domaine de l’énergie pour pouvoir augmenter les investissements dans la production d›énergie, et surtout l’énergie renouvelable. Nous avons financé, et nous essayons de financer des acteurs du secteur privé qui investissent dans des secteurs qui répondent à des problèmes de développement précis.
Quels sont les critères sur lesquels vous choisissez les champions locaux à soutenir financièrement ?
Comme je le disais tout à l›heure, le Burkina Faso est un pays où nous avons, je dirais par essence, un secteur privé innovant et des entrepreneurs résilients. Nous essayons donc d’identifier des entreprises et des chefs d’entreprises qui sont dans des secteurs stratégiques alignés avec nos priorités. C’est le premier critère. Ensuite, nous essayons d’identifier des chefs d’entreprises et des entreprises qui présentent un projet qui permet de pouvoir créer des emplois. Après, en tant qu›institution de financement, il est très important pour nous de pouvoir identifier des entreprises qui ont une perspective de développement intéressante et viable financièrement. Voilà les critères que nous appliquons et nous avons identifié une quinzaine de champions nationaux. Nous avons, au cours de ce Forum, procédé à la signature des accords de partenariat avec trois d›entre elles que sont Anatrans, Aliprode et une autre dont j’oublie le nom.
Des entreprises bénéficiaires de l’accompagnement de la SFI jugent les délais de décaissement des ressources financières trop longs, soit souvent entre 3 et 4 ans, ne pensez-vous pas qu’effectivement, les financements arrivent après le besoin exprimé ?
Vous avez raison. En toute humilité, il faut prendre la critique. Effectivement, nous avons ce handicap d’avoir des procédures assez complexes. Peut-être permettez-moi de dire pourquoi ces procédures sont longues et complexes. La SFI est une institution de développement qui appartient à l’ensemble des pays. Nous faisons partie du Groupe de la Banque mondiale. Nous avons au moins 184 actionnaires. Les fonds que nous utilisons nous ont été confiés par nous tous, par vous tous. Donc, il y a quand même une volonté, une obligation de notre part de nous assurer que les investissements que nous faisons remplissent les objectifs qu’on nous donne et que nous les investissons à bon escient.
Maintenant, la critique, je dis, nous l’entendons et nous essayons d’y travailler. Au sein du Groupe de la Banque mondiale, ce message a été très entendu. Le président du Groupe de la Banque mondiale, Ajay Banga, a beaucoup insisté là-dessus et nous sommes engagés dans un mouvement d’améliorer l’efficacité de nos procédures avec comme objectif de réduire considérablement les délais d’exécution de nos projets. C’est un engagement qui a été pris au plus haut niveau et nous essayons d’y travailler.
Le dernier point sur lequel je voudrais insister, c’est qu’en tant qu’institution de financement, ce que nous disons à nos clients futurs, c’est que nous avons une responsabilité partagée pour nous assurer que nous allons vite. C’est pour ça que nous insistons auprès de nos clients pour les accompagner à améliorer la bancabilité de leurs projets. Quand un projet est bien préparé, bien mûr, la procédure va vite.
Je vous donne un exemple. Pour construire une centrale électrique, il y a toute une série d’études qui doivent être réalisées avant que le projet soit jugé bancable. Quand un promoteur vient nous voir avant la réalisation de ces études-là, vous conviendrez que ça prend un peu plus de temps pour réaliser ces études que si le promoteur venait nous voir avec l’ensemble des études nécessaires déjà réalisées. C’est pour cela que nous avons mis en place toute une batterie de programmes d’assistance technique pour pouvoir travailler avec nos futurs clients pour les aider à préparer les financements. Souvent, quand nous sommes interpellés sur la lourdeur ou la lenteur de nos procédures, cet élément-là n’est pas souvent pris en compte et je le comprends. Si je suis à la place de l’entrepreneur, moi-même je dirais cela. Mais c’est l’ensemble qui fait qu’on va gagner le défi de la rapidité et de la simplification des procédures.
Le secteur privé burkinabè est constitué à plus de 50% de PME- PMI qui souhaitent aussi bénéficier de l’accompagnement de la SFI, la requête sera-t-elle favorablement reçue ?
Non seulement elle est favorablement reçue, mais en réalité, l’accompagnement des PME et PMI, pour les raisons que vous venez d’évoquer, ici au Burkina et en réalité dans quasiment tous les pays dans lesquels nous intervenons, est notre priorité. A la SFI, nous sommes en train de peaufiner notre nouvelle stratégie, la stratégie 2030, et dans cette stratégie, l’appui et l’accompagnement des PME et PMI est un des quatre piliers. C’est une stratégie, c’est une priorité pour nous. C’est d’autant plus facile pour nous qui travaillons dans des pays comme le Burkina Faso de le comprendre et de le mettre en place, parce que nous constatons tous les jours l’intérêt de la chose.
Maintenant, comment est-ce que nous allons faire? Une voie, la voie la plus importante que nous empruntons, c’est d’imaginer des solutions d’appui aux PME/PMI par l’intermédiaire de partenaires financiers. Ici au Burkina Faso, nous avons investi et nous travaillons en étroite collaboration avec un certain nombre de partenaires bancaires, microfinances, auxquels nous accordons des financements et des facilités de garantie, avec comme objectif qu’ils puissent nous servir de relais auprès des PME, parce que le gap à combler est tel que nous n’allons pas y arriver tous seuls. C’est pour ça que nous accompagnons des groupes comme Coris Bank, Vista, Ecobank, Bank of Africa ou ACEP, la microfinance, ici au Burkina Faso.
Toutes les facilités que nous mettons en place avec ces institutions de financement ont comme seul objectif de pouvoir accompagner les PME. Mais nous sommes conscients que ces institutions de financement, elles-mêmes, malgré les efforts, ont des contraintes qui font qu’elles ne peuvent pas combler le gap. Aujourd’hui, nous travaillons de plus en plus avec des plateformes technologiques pour pouvoir utiliser la technologie comme levier, afin d’atteindre des cibles, c’est-à-dire des entreprises, des PME, surtout dans le domaine agricole, que les banques traditionnelles ou les institutions traditionnelles n’arrivent pas à joindre. Vous êtes tous utilisateurs de Orange Money ou de Moov Money.
Aujourd’hui, ces plateformes nous permettent de pouvoir toucher des clients ou des clients futurs qui, aujourd’hui, ne sont pas bancarisés. Une des statistiques que nous avons vues pendant le Forum, c’est que le taux de bancarisation au Burkina Faso n’est que de 27%. Cela veut dire que si toutes les banques commerciales et microfinances parvenaient à servir le crédit à tous leurs clients qui ont un compte, elles ne toucheraient que 27% de la population. Or, le taux de pénétration du mobile est de 117%. Cela veut dire que les opérateurs de téléphonie mobile touchent beaucoup plus de gens que les banques traditionnelles.
Donc, si on arrive à imaginer des solutions de financement sur les plateformes téléphoniques, vous voyez bien qu’on peut, dans un délai qu’on espère court, gagner la bataille de financement direct à des gens qui ne sont pas bancarisés. Voilà la deuxième voie que nous suivons aujourd’hui. Bien évidemment, nous avons d’autres instruments d’investissement directs dans les PME, je dirais les moyennes entreprises, et c’est ce que nous essayons de faire au travers du programme des champions nationaux.
Au regard de l’engouement que suscitent les fonds de la SFI auprès du secteur privé burkinabè, peut-on s’attendre à ce que vous puissiez élargir le domaine d’activité ?
Les programmes d’intervention de la SFI, aujourd’hui, s’inscrivent dans un cadre de partenariat pays que le Groupe de la Banque mondiale développe avec l›Etat. Et aujourd’hui, nous sommes en train de finaliser ce cadre de partenariat pays entre le Groupe de la Banque mondiale et l’Etat.
Nos interventions se font dans les secteurs stratégiques tels que définis par l›Etat, avec les contributions du secteur privé. Deuxième point, nous avons comme ambition de ne pas non plus nous disperser, parce que nous avons des ressources qui ne sont pas infinies.
Nous pensons qu’il est mieux de se concentrer sur des secteurs pour lesquels nous sommes convenus avec les parties prenantes comme prioritaires, et d’essayer d’approfondir nos interventions pour pouvoir délivrer des résultats au lieu d’aller dans plusieurs directions. Voilà un peu la stratégie que nous adoptons, c’est la stratégie du Groupe de la Banque mondiale aujourd’hui, ici au Burkina Faso, mais ailleurs aussi dans le monde.
Propos recueillis par la Rédaction
Encadré 1
A la date d’aujourd’hui, combien avez-vous pu mobiliser pour soutenir le secteur privé?
«La SFI a un portefeuille de près de 400 millions de dollars, ici au Burkina Faso. Ce qui est important de noter, c’est que ce portefeuille est en forte croissance au cours des dernières années. Il y a 5 ans que le bureau de la SFI est implanté au Burkina Faso. Aujourd’hui, nous avons une dizaine de collaborateurs ici, sur place, à Ouaga, et c’est ce qui explique cette forte croissance de notre portefeuille. Mais compte tenu des perspectives et des besoins, parfaitement alignés avec notre stratégie, nous avons comme objectif de doubler, voire de tripler ce portefeuille dans les années à venir », a expliqué M. Buyoya.
Filet
Les grands projets sont en cours de préparation en 2025 ?
«Les grands projets sont en droite ligne des huit thématiques qui ont été abordées. Je crois que chacun des thèmes abordés peut constituer en lui seul le secteur prioritaire. Nous savons, par exemple, qu’il est absolument indispensable de garantir une énergie abordable et propre pour nos pays si on veut industrialiser et créer des emplois. Le secteur de l’énergie est un secteur prioritaire. Ensuite, l’agriculture. On a parlé de la sécurité alimentaire. Beaucoup de nos champions nationaux sont dans le domaine de la transformation des produits agricoles ou de la production agricole. Le secteur de la production agricole et de la transformation de nos produits, pour atteindre la souveraineté alimentaire, est aussi prioritaire. Ensuite, il y avait une discussion très intéressante sur les problématiques liées à la santé.
Je pense que pour avoir une productivité économique, il faut avoir une population en bonne santé. Nous avons beaucoup parlé de la transformation des produits agricoles, de la transformation des ressources naturelles. Le Burkina Faso est un pays minier et comment insérer l’ensemble des PME, surtout les PMI, dans la chaîne de valeur de l’industrialisation ? C’est un combat, d’autant plus important qu’à la fin, c’est par l’industrialisation, par la transformation des matières premières, des produits que nous avons que nous allons pouvoir arriver à la création d›emplois. Et l’emploi, c’est la dignité, et la dignité, c’est le socle de la cohésion sociale et de la paix », a déclaré Olivier Buyoya, Directeur régional SFI