L’économie informelle dans le PNDES: un secteur qu’il faut prendre en compte, Selon Mame Astou Diouf Sow
Dans son rapport sur les perspectives économiques de l’Afrique subsaharienne, rendu public à Ouagadougou le 8 juin dernier, le FMI a indiqué que l’économie informelle présente pour l’Afrique des défis et des opportunités. Pour en savoir plus sur ce secteur qui représente entre 25 et 65% du PIB et entre 30 et 90% du total des emplois non agricoles, L’Economiste du Faso a approché la représentante résidente du FMI au Burkina Faso.
Mame Astou Diouf Sow revient dans cette interview sur les atouts de l’économie informelle dans la mise en œuvre du PNDES et donne son appréciation sur le Plan de développement national.
L’Economiste du Faso: Dans son rapport sur les perspectives économiques, avril 2017, le FMI table sur l’économie informelle, en tant que composante importante de la plupart des économies de l’Afrique subsaharienne. Quel est le rôle de cette économie pour les pays africains?
Mame Astou Diouf Sow, représentante résidente FMI au Burkina Faso: L’économie informelle est une composante importante de la plupart des économies de la région. Selon les estimations, la taille des économies informelles en Afrique subsaharienne (AfSS) est très hétérogène: elle est estimée entre 20 à 25 % de PIB à Maurice, en Afrique du Sud et en Namibie, et varie jusqu’à atteindre 50 à 65 % de PIB en Tanzanie et au Nigeria. Très souvent, nous entendons parler des défis que représente le secteur informel, notamment comme frein à la mobilisation des ressources fiscales. Il faut cependant souligner que le secteur informel génère également des opportunités.
D’abord, le secteur informel fournit de l’emploi à ceux qui n’en ont pas. Cela inclut les personnes instruites qui n’ont pas pu s’insérer dans le marché du travail formel, tout comme les personnes non instruites. La part du secteur informel dans l’emploi non agricole est estimé entre 55 et 75% dans les pays à faibles revenus et ceux riches en ressources naturelles.
Ensuite, l’informel permet de réduire les inégalités. Les études montrent que le différentiel de consommation entre les travailleurs du secteur formel et ceux qui sont dans l’informel est moindre que le différentiel de consommation entre le formel et le secteur agricole.
Il faut noter cependant que le niveau de consommation des travailleurs du formel est plus élevé que celui des deux autres secteurs. Toutes ces opportunités font que ce secteur représente un filet social. C’est un filet social qui n’est pas financé directement par l’Etat, mais qui a son importance.
En quoi cette économie informelle est-elle importante dans la mise en œuvre du PNDES?
La taille de l’économie informelle s’élève à près de 30% de PIB au Burkina, ce qui est non négligeable. C’est un secteur qu’il faut donc prendre en compte pour savoir comment booster sa contribution à la croissance. Toute stratégie de développement devrait donc tenir compte de l’informel. Cela ne veut cependant pas dire viser à l’anéantir, car on a vu que ce secteur joue un rôle important. Il faut distinguer les différents types d’informalité. D’un côté, il y a les entreprises qui sont dans l’informel parce que leurs chiffres d’affaires ne leur permet pas de rejoindre le formel.
C’est le cas des entreprises familiales dont le chiffre d’affaires est en dessous du seuil imposable. Celles-là devront rester dans l’informel jusqu’à ce que la taille de l’entreprise grossisse. Pour elles, il est important de les soutenir de façon à ce que l’entreprise subsiste aux temps.
D’un autre côté, il y a les entreprises qui restent intentionnellement informelles parce qu’elles fraudent. Certaines, notamment, sont à la limite du seuil pour passer au formel, mais elles se maintiennent volontairement en deca. Pour elles, il s’agira de mettre en place des dispositions fiscales qui les pousseraient à passer au formel (par exemple un fort taux de TVA ou à intensifier la lutte contre la fraude). Les analyses montrent d’ailleurs que les pays où l’Etat de droit prévaut, la taille de l’informel moins élevée.
Dans les deux cas, remédier aux défis auxquels font face l’informel permet d’augmenter sa contribution à la croissance. Un des plus grands défis est que ce secteur souffre généralement d’un déficit considérable de productivité par rapport au formel, qui peut atteindre 20 à 25%. Ceci reflète principalement les niveaux faibles du capital physique dans l’informel, ainsi que le fait que le secteur utilise une main-d’œuvre moins qualifiée ou inadéquatement formée (c’est-à-dire, par exemple, formée à un métier autre que celui exercé). Ces contraintes limitent le potentiel de croissance de l’informel.
Les politiques visant à renforcer la productivité de l’économie auront tendance à bénéficier aussi aux entreprises informelles.
On peut citer, par exemple, l’amélioration de la formation, des infrastructures, des services publics (tels que l’accès à l’eau, à l’électricité et à la santé, l’accès aux nouvelles technologies, etc).
De fait, les investissements et les politiques de renforcement de productivité prévus par le PNDES vont aussi contribuer à améliorer la productivité du secteur informel, tout autant que celle des entreprises dans le secteur formel, ce qui va renforcer les effets sur la croissance. La prise en compte de cet aspect lors de la mise en œuvre du PNDES serait un atout supplémentaire pour l’atteinte des objectifs fixés.
Le volet mobilisation de recettes fiscales est également très important. La stratégie des régies de recettes, notamment la Direction générale des impôts et la Direction générale des Douanes, en termes de lutte contre la fraude permettra d’inciter les entreprises fraudeuses à devenir formelles.
En début juin, le Premier ministre Paul Kaba Thiéba a dressé la liste des résultats atteints en 2016 lors de la revue annuelle du PNDES. Des résultats qu’il a qualifiés de «progrès notables». Le FMI partage-t-il son optimisme?
Le constat général qui ressort de la revue annuelle du PNDES est que sa mise en œuvre a été satisfaisante en 2016. Notamment, au niveau du cadre macroéconomique, la mobilisation des recettes intérieures s’est fortement raffermie, par rapport à 2015, pour atteindre 17,5% de PIB. Ces efforts se sont faits malgré les défis rencontrés en 2016, notamment l’aspect sécuritaire, la mise en place d’un nouveau gouvernement et le fait que le PNDES lui-même ait été adopté en milieu d’année, ainsi que la loi de finances rectificative.
Pour la suite de la mise en œuvre, il est primordial de s’assurer que le cadre macroéconomique à moyen terme auquel est adossé le PNDES promeut la stabilité macroéconomique et la viabilité de la dette. Un des principaux ingrédients pour cela est une politique budgétaire soutenable. En particulier, il est souhaitable que les investissements prévus dans le PNDES soient mis en œuvre à un rythme approprié, tenant compte de la capacité d’absorption de l’économie burkinabè, ce qui aide à assurer leur efficacité et un impact maximal sur la croissance. Pour 2017, par exemple, la loi de finances rectificative prévoit de plus que doubler le volume des investissements.
Ce rythme d’augmentation des investissements n’a en général pas été efficace pour les pays qui l’ont expérimenté. Une attention particulière devrait aussi être portée sur la qualité des dépenses d’investissement, avec un accent sur la priorisation, la sélection, le séquençage et l’exécution des projets. Il s’agit donc pour le gouvernement de s’assurer que l’allocation du volume d’investissements par année puisse prendre en compte les capacités d’absorption et d’exécution, et que le cadre macro-économique global puisse reposer sur des principes de stabilité, avec un déficit budgétaire contenu et financé prioritairement par des dons ou des prêts concessionnels.
A cela s’ajoutent d’autres ingrédients pour augmenter l’espace fiscal pour réaliser les investissements. On peut citer entre autres l’amélioration de la mobilisation des recettes internes, le renforcement de la gestion financière et la maîtrise des dépenses courantes. Pour ce dernier, je pense notamment à la maitrise de la masse salariale et des subventions non ciblées comme les subventions des prix de carburant à la pompe, qui profitent plus aux riches qu’aux populations en difficulté.
Entretien réalisé par NK