Tribune

Aides financières, information et soins médicaux pour les enfants au Mali – Par Anja Sautmann

Dans son discours de politique générale du 5 février, M. le Premier ministre Paul Kaba Thiéba a fait 10 promesses concernant la santé. Elles portent sur la gratuité des soins, l’augmentation des ressources humaines et de meilleures infrastructures ou encore la mise en place complète du système national d’assurance maladie universelle. Dans un monde parfait, tous les enfants devraient avoir accès aux soins de base, quelle que soit la richesse de leur famille. Même si au niveau mondial les taux de mortalité des enfants de moins de 5 ans ont presque diminué de moitié en 20 ans, ils étaient encore près de 6 millions à mourir en 2015, souvent de causes que l’on sait éviter ou guérir.
La gratuité des services de santé lèverait une partie de la barrière financière, permettant aux familles les plus modestes d’accéder aux soins. Margaret Chan, Directrice générale de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), a déclaré lors d’un discours en 2007 que pour réduire la pauvreté, il convient d’aider les gouvernements à supprimer le paiement direct des soins de la part des patients1. D’un autre côté, un accès gratuit aux soins pourrait engendrer d’autres problèmes en encourageant les parents à aller trop souvent chez le médecin, notamment quand ceux-ci n’ont pas la capacité de reconnaitre les situations où leur enfant a besoin de soins médicaux. Avec le Dr. Dean et Samuel Brown2, accompagnés par Innovations for Poverty Action (IPA), nous avons donc décidé d’étudier si des aides financières pour les soins et de meilleures connaissances en termes de santé peuvent aider à diriger les enfants qui en ont le plus besoin vers les services de santé et à en augmenter l’accès.
Notre étude s’appuie sur le programme «Action for Health» (de l’ONG Mali Health à Sikoro, Bamako). Ce programme permet un accès gratuit à certains services des centres de santé pour les enfants de moins de 5 ans. Ils fournissent aussi des agents de santé qui rendent visite aux familles tous les 15 jours pour leur enseigner les bonnes pratiques et pour leur apprendre à reconnaître les symptômes des maladies. Ainsi, le programme Action for Health combine aides financières et meilleure information afin d’améliorer l’accès aux soins sans créer d’abus. Cette étude a démarré en 2012 en se basant sur une expansion du programme Action for Health. L’ONG a identifié 1.600 bénéficiaires potentiels et les a repartis par tirage au sort en 4 groupes égaux afin de pouvoir comparer les effets de l’étude. Un groupe bénéficiant aussi bien des aides financières que de la visite des agents de santé, un second groupe ne bénéficiant que des aides financières, un troisième ne recevant que des agents de santé et, enfin, le quatrième n’étant pas touché par le programme (groupe de comparaison). A la fin de l’étude, tous les enfants éligibles ont été inscrits dans le programme complet.
Les mères ont eu l’occasion de décrire les symptômes quotidiens, les consultations médicales et les traitements mis en œuvre, au cours d’enquêtes hebdomadaires. Les chercheurs ont donc eu accès à des données sur plus de 3.000 cas de maladies et plus de 500 consultations. Les besoins médicaux dépendent en partie de la durée des symptômes: par exemple, la diarrhée n’est dangereuse que si elle dure 5 jours ou plus. En utilisant les recommandations de l’OMS, nous avons répertorié le nombre de journées de «soins non requis» et celles de «soins nécessaires». Avec ces données, nous avons pu identifier les utilisations excessives (consultation médicale un jour de «soins non requis») et les utilisations insuffisantes (pas de soins médicaux un jour de «soins nécessaires»). L’étude révèle qu’en

Pour les cas de maladies où un professionnel a été consulté, réduire le coût des soins a radicalement augmenté les probabilités de visites (d’environ 250%).
Pour les cas de maladies où un professionnel a été consulté, réduire le coût des soins a radicalement augmenté les probabilités de visites (d’environ 250%).

absence du programme, les parents ont rarement recouru aux soins, même lorsque leur enfant avait des symptômes nécessitant une consultation médicale. Pourtant, malgré ce faible taux, les parents identifient mieux les besoins de santé de leurs enfants qu’on ne le pense : une consultation chez le médecin a été 7 fois plus probable un jour de «soins nécessaires» qu’un jour de «soins non requis». Quant à l’utilisation excessive, elle n’est présente que dans 3% des cas (voir graphique). Surtout, réduire le coût des soins a augmenté radicalement la probabilité de visites (d’environ 250%), particulièrement les jours de «soins nécessaires». Cependant, l’utilisation des services de santé est restée insuffisante: 70% des enfants nécessitant des soins médicaux et bénéficiant des soins subventionnés n’ont pas vu de médecin. Les agents de santé ont eu très peu d’effets sur l’utilisation insuffisante des soins chez les familles bénéficiant des frais réduits. Et paradoxalement, un effet légèrement négatif sur celles n’ayant pas reçu ces réductions. Ceci peut être dû à une utilisation inattendue des informations délivrées par les agents de santé: dans certains cas, les parents ont pu apprendre que la maladie était assez sérieuse pour que l’OMS recommande d’aller voir un médecin, mais pas assez dangereuse au point qu’ils ne puissent pas repousser les soins.
Le faible recours aux soins, même lorsque les familles bénéficiaient des frais réduits et savaient reconnaitre les symptômes de leurs enfants, indique que le programme n’a que partiellement levé les obstacles d’accès aux soins. D’autres raisons amenant à une utilisation insuffisante pourraient être que les parents n’ont pas le temps du fait de leur travail ou des tâches ménagères ou n’ont pas les moyens de transport nécessaires pour accéder à la clinique avec un enfant malade.
Dans ce contexte, cette étude montre que les parents savent quand leur enfant est malade. Réduire le coût des soins médicaux peut donc améliorer l’utilisation des soins, sans pour autant engendrer plus de gaspillage. Les résultats montrent également que lorsque les coûts sont réduits, les mères sont beaucoup moins inquiètes pour leurs enfants et les périodes de maladie des enfants sont plus courtes. Il est donc raisonnable d’affirmer que c’est une bonne décision politique que de rendre les soins primaires abordables pour les plus pauvres.
Coïncidant avec ces résultats prometteurs, le ministre de la Santé du Burkina Faso, M. Smaïla Ouédraogo, a lancé le 2 avril dernier la mise en place graduelle de la gratuité des soins pour les enfants de 0 à 5 ans, concernant les maladies causant 80% des décès de cette tranche d’âge.

www.poverty-action.org/burkinafaso
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IPA et J-PAL

Innovations for Poverty Action (IPA) et J-PAL laboratoire d’action contre la pauvreté ont pour mission de découvrir et de divulguer des solutions efficaces pour lutter contre la pauvreté dans le monde. En partenariat avec les décideurs politiques, IPA et J-PAL conçoivent, évaluent rigoureusement et aident à améliorer les programmes de développement, ainsi que la manière dont ils sont mis en œuvre. o

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