La réhabilitation totale du chemin de fer Abidjan– Kaya aura-t-elle lieu? Quand? Qui le fera? Ce sont des questions qui s’imposent aujourd’hui au regard de l’ambiance qui règne autour du projet et surtout de la situation des négociations entre les deux principaux bénéficiaires du projet. Il s’agit notamment du groupe Bolloré, concessionnaire du chemin de fer via sa filiale SITARAIL, et du groupe minier Pan African Minerals (PAM), désireuse de transporter le manganèse de Tambao par le train jusqu’au port d’Abidjan.
Après Ouagadougou le 21 avril 2016, les négociations, pilotées par les Etats de Côte d’Ivoire et du Burkina, devaient se poursuivre les 12 et 13 mai derniers pour fixer les grandes lignes d’un accord entre PAM et SITARAIL. La société minière s’étant montrée favorable à transporter son manganèse par le chemin de fer Kaya-Abidjan «selon la capacité disponible», l’accord recherché repose sur les conditions de ce transport. L’avènement de l’accord est censé également galvaniser Bolloré et l’encourager à engager immédiatement la réhabilitation totale du chemin de fer. Cette réhabilitation est attendue à la fois par PAM et par les deux Etats.
La rencontre d’Abidjan qui devait mettre tous les protagonistes autour d’une table ne s’est pas finalement déroulée comme prévu. C’est séparément que les deux Etats, à travers les ministres en charge des Transports, ont pu s’entretenir avec les représentants de Bolloré et du groupe PAM conduit par son président Frank Timis. Devant les ministres, PAM a réitéré les engagements pris lors de la réunion du 21 avril à Ouagadougou. C’est-à-dire respecter les termes du PPP signé avec l’Etat burkinabè pour la réalisation du projet intégré de Tambao et aussi transporter le minerai par le chemin de fer. Pour PAM, le chemin de fer est l’option de transport la plus avantageuse et toute autre solution ne serait que transitoire.
C’est avec ces «assurances» de PAM que les ministres ont reçu les représentants de Bolloré, à leur tour.
Mais cette ultime étape n’a pu déboucher sur aucun accord. L’on a même appris que les ministres sont arrivés à la conclusion que Bolloré n’était plus intéressé par la réhabilitation du chemin de fer. En effet, les représentants de Bolloré n’ont pas marqué leur adhésion aux propositions présentées par les ministres.
Bolloré souhaitait entre autres que PAM indique la quantité de minerai qu’il transportera par an sur le chemin de fer (pas moins de un million de tonnes dès la première année).
Face au manque d’accord, l’idée de retirer à Bolloré le volet réhabilitation pour le confier à un autre opérateur aurait traversé les esprits des négociateurs des Etats. L’éventualité de confier cette réhabilitation à PAM a même été envisagée. Cependant, le groupe de Frank Timis a fait preuve d’une prudence en répondant que la situation méritait d’être étudiée davantage sans se précipiter.
C’est dans ce contexte où la situation paraissait dans une impasse et où l’incertitude était palpable sur la réhabilitation du chemin de fer que le président ivoirien a accordé une audience à Frank Timis le 13 mai. Alassane Ouattara décidait ainsi de s’impliquer dans le dossier pour tenter de lever les blocages. A l’issue de l’audience, Timis fera savoir qu’il a eu «une discussion très fructueuse sur la relance de la mine de Tambao et sur l’aspect logistique lié au transport du manganèse vers le port d’Abidjan».
La suite prévoyait que Alassane Ouattara parle à Bolloré. Un émissaire du président ivoirien est allé à la rencontre du patron de Bolloré. L’on apprend que la position du groupe français a évolué depuis lors.
L’information n’est pas encore officialisée et formalisée sur un document, mais le groupe Bolloré aurait confirmé son engagement à réhabiliter le chemin de fer «sans conditions». Que signifie exactement la précision «sans conditions»?
S’agit-il des délais d’exécution de la réhabilitation du chemin de fer ou des engagements que Bolloré attendait de PAM? On le saura dans les jours à venir. L’issue du processus reste encore incertaine et il n’est pas exclu que certains termes des accords signés par les deux Etats avec les opérateurs Bolloré et PAM deviennent caducs.
Karim GADIAGA
Des intérêts pas forcément convergents
Pour PAM, l’essentiel aujourd’hui est d’exploiter son minerai et trouver la meilleure opportunité pour son transport vers un port qui permettra son exportation vers l’Europe. Pour cela, PAM ne souhaite pas s’enfermer dans des engagements qui limiteraient sa marge de manœuvre sur le choix du type de transport (voie ferrée ou terrestre) et du port d’embarquement (Abidjan ou Lomé). Quant à l’Etat du Burkina, l’essentiel c’est de voir l’exploitation et la commercialisation du minerai commencer afin de pouvoir profiter des recettes supplémentaires qui seront générées par cette activité minière. Du côté de Bolloré et sa filiale SITARAIL, l’exploitation du manganèse est vue comme une opportunité d’accueillir un gros client qui va gonfler les recettes du train. Pour cela, Bolloré veut obtenir l’assurance que le transport se fera exclusivement par le train et en quantités importantes. C’est l’engagement qu’il souhaite obtenir de PAM. Dans la suite de Bolloré, l’intérêt de l’Etat de Côte d’Ivoire est surtout axé sur le port d’Abidjan.
La Côte d’Ivoire tient à ce que le manganèse puisse passer par son port et donner lieu ainsi au prélèvement de taxes et de royalties. Dans ce scénario à acteurs multiples, PAM est la cible convoitée par tous, mais aussi une cible sous pression. Dans l’attitude de Bolloré et de l’Etat ivoirien à défendre chacun son propre intérêt, celui de PAM est presque souvent pris en otage. D’où les blocages.