Tribune

Migrations, des héros dans les services publics – Par : Geneviève Gencianos

George, Abi, Luciana…. Comme eux, une légion de héros inconnus fait face chaque jour à la réalité des mouvements migratoires (voir encadré). On n’y pense guère, mais ce sont les employés des services publics qui sont en première ligne pour prendre en charge les migrants, les demandeurs d’asile et les réfugiés. Ils s’occupent de la distribution d’eau et de nourriture, de l’assainissement, des soins de santé, du logement, de l’éducation, de l’assistance sociale.
Ce sont également eux, pompiers et sauveteurs, qui interviennent dans les situations d’urgence, les catastrophes et la reconstruction.

Ce n’est plus une «crise»
Les déplacements forcés de populations constituent aujourd’hui un phénomène mondial qui ne peut plus être traité comme une crise ponctuelle. L’instabilité politique, la violence, la pauvreté et les changements climatiques sont à l’origine des plus importants mouvements migratoires jamais enregistrés. Environ 258 millions de personnes –  une personne sur 30 – vivaient hors de leur pays de naissance en 2017. Nombre d’entre eux ont perdu la vie au cours de trajets de plus en plus dangereux. Ce fut le cas de 30.000 personnes au cours des 5 dernières années, selon le projet «migrants disparus» de l’Organisation internationale pour les migrations. Le changement climatique rend les perspectives plus sombres encore. Selon un récent rapport de la Banque mondiale, plus de 140 millions de personnes issues de trois régions du monde en développement risquent de migrer à l’intérieur de leur pays d’origine d’ici à 2050, venant grossir la population de bidonvilles déjà bondés.
Du pain béni pour les leaders politiques d’extrême droite, qui présentent l’étranger comme la source de tous les maux. Ces candidats nationalistes et populistes, dont les campagnes reposent sur une propagande raciste et xénophobe, sont de plus en plus nombreux à arriver au pouvoir, dans les pays développés et en développement.
Ce n’est pas un hasard si plus d’une dizaine de pays ont déjà rejeté le «pacte mondial pour les migrations sûres, ordonnées et régulières», plus communément appelé «Pacte de Marrakech», qui doit être validé par les chefs d’Etat et de gouvernement au Maroc les 10 et 11 décembre.

Sentiments puissants
L’hostilité des citoyens ordinaires à l’égard des migrants est d’autant plus vive qu’ils ont le sentiment de devoir partager des ressources de plus en plus maigres. Les nouveaux arrivants ne sont pas seulement des délinquants en puissance, ce sont également ceux qui accaparent les emplois de qualité et qui font plonger le niveau de l’école publique, assurent les politiques d’extrême droite.
A cause d’eux, les loyers grimpent et la file d’attente à l’hôpital s’allonge. Dans les zones les plus pauvres, ils sont perçus comme responsables des rationnements, notamment d’eau. Demandez à George, au Liban, il a beaucoup à dire à ce sujet.
Ce discours xénophobe détourne l’attention des véritables raisons du déclin de la qualité de l’éducation, des soins de santé, des transports ou de l’assainissement. En réalité, cette baisse est d’abord la conséquence des politiques d’austérité, la plupart des gouvernements s’attaquant à leurs propres services publics, en réduisant leurs budgets ou en les privatisant. Les migrants ne sont en rien responsables.

Services publics, base des droits de l’homme
Aujourd’hui,  des entreprises privées exploitent ce qui est présenté comme une «crise des migrants». Puisque les services publics de plus en plus démunis peinent à répondre aux besoins, on délègue ces derniers au secteur privé.
Dans toute l’Union européenne, les gouvernements font appel à des entreprises pour gérer la détention, la surveillance et le traitement quotidien des réfugiés. Et il n’y a aucune incitation financière les poussant à fournir des services décents dans les abris – soins de santé, nourriture, éducation ou même accès à l’eau chaude.
A l’Internationale des Services Publics, une fédération syndicale internationale, nous sommes convaincus que, dans une société démocratique, l’accès au travail, à l’éducation, à la santé, à une retraite digne, à des infrastructures de qualité, à la mobilité des personnes, à l’égalité entre les femmes et les hommes, à la culture, le tout dans le respect de l’environnement, ne sont pas seulement des services, mais des droits.
Comprendre l’importance des services publics et les financer à la hauteur des besoins est le seul moyen de ne pas laisser les entreprises cupides profiter de la misère sous toutes ses formes. C’est aussi la meilleure réponse à ceux qui propagent la peur, le mensonge et la haine. Les services publics sont le fondement de la solidarité. Ils luttent contre les inégalités et contribuent à construire des sociétés résilientes et inclusives. Les services publics sont des droits de l’homme.

L’Economiste Edition N° 5415 du 19/12/2018


George, Abi et Luciana…: réinventer l’accueil

Il s’appelle George. Employé de l’Agence des eaux du Nord Liban, il se réveille avec une obsession, fournir de l’eau potable à toutes les familles du village de Wadi Khaled. Défi gigantesque: la population a doublé depuis 2011 avec l’arrivée de dizaines de milliers de Syriens. Même avant la guerre, rares étaient les ménages qui avaient accès à l’eau courante. Depuis, le nombre de réfugiés a dépassé celui des citoyens libanais,  d’où les tensions dans cette région défavorisée.
Elle s’appelle Moradeke, mais tout le monde l’appelle Abi. Enfant, elle rêvait d’être infirmière, pour sauver des vies. Depuis 2009, cette vocation a plus de sens que jamais, dans un Nigéria où des millions de personnes sont contraintes à l’exil, terrorisé par la secte islamiste Boko Haram. Depuis, elles s’entassent dans des camps de fortune, ravagées par la malnutrition et le choléra. Des infirmières travaillent jour et nuit dans ce contexte de crise humanitaire, souvent au péril de leur vie: Boko Haram en a déjà kidnappé et tué des dizaines.
Elle s’appelle Luciana, elle est directrice d’école à Talismán, à la frontière entre le Mexique et le Guatemala. Elle a décidé de tendre la main aux milliers d’enfants venus, parfois seuls du Guatemala, du Honduras ou du Salvador. Ils fuient la misère et la violence des gangs, elle leur propose d’intégrer une école plurinationale, et se mêler aux enfants du Chiapas, une région très pauvre du Mexique.

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