Economie

L’accord mondial sur la taxation des multinationales: Une occasion manquée, selon ICRICT

Alors que la Conférence mondiale sur le climat (COP 26) touche à sa fin à Glasgow, l’ICRICT – Commission indépendante pour la réforme de la fiscalité internationale des entreprises insiste sur le fait qu’il ne sera pas possible d’obtenir un engagement mondial en faveur de l’élimination nette des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050 sans mettre l’ensemble du système fiscal au service de la transition climatique. Nous avons besoin d’un plan d’action fiscal ambitieux et complet conçu pour réduire les émissions de carbone, mais la charge ne doit pas être supportée par les citoyens moyens alors que les multinationales et les plus riches de notre société ne paient pas leur juste part.

La carte mondiale de la pollution au carbone se confond parfaitement avec celle des inégalités économiques, tant au sein des pays qu’entre eux. Les 10 % les plus riches de la population mondiale émettent près de 48 % des émissions mondiales, les 1 % les plus riches produisant 17 % du total, tandis que la moitié la plus pauvre de la population mondiale émet 12 % des émissions mondiales.

Pour financer la décarbonisation dans les pays riches et aider les pays en développement à faire de même, il faut des engagements financiers.  L’accord fiscal mondial signé début octobre par 136 pays aurait pu apporter une contribution importante à cet objectif. Mais en optant pour un taux mondial minimum d’imposition des sociétés de seulement 15% et en faisant des pays riches les principaux bénéficiaires des ressources fiscales supplémentaires qui seront générées, le monde s’est privé d’une source précieuse de financement dans la lutte contre le changement climatique.

Une réforme qui aurait pu générer plus de 250 milliards de dollars de recettes fiscales supplémentaires dans le monde avec un taux d›imposition minimum de 21% – et ces recettes pourraient atteindre 500 milliards de dollars avec un taux de 25%, comme le préconise l’ICRICT – ne générera que 150 milliards de dollars avec un taux d›imposition de 15%, la part du lion de ces recettes supplémentaires devant revenir à un petit groupe de pays riches.

Il y a 12 ans, lors du Sommet des Nations unies sur le climat à Copenhague, les nations riches avaient promis de verser 100 milliards de dollars par an aux pays en développement d’ici 2020, afin de les aider à s’adapter au changement climatique. Cette promesse n’a pas été tenue. Un accord fiscal mondial plus ambitieux aurait pu fournir des ressources permettant de respecter, voire de doubler cette promesse. Pour cela, il aurait fallu que les pays les plus riches du monde ne s’alignent pas sur les intérêts des multinationales et des paradis fiscaux, mais sur celui des citoyens du Nord comme du Sud.

Nous ne devons pas baisser les bras. C’est pourquoi nous avons récemment adressé une lettre aux dirigeants du G20 pour demander que les négociations actuelles se poursuivent sous la présidence de l›Indonésie en 2022 et de l›Inde en 2023, mais qui donne une voix effective à toutes les parties prenantes et à leurs intérêts et qui ne soit pas dominé par les intérêts des entreprises.

José Antonio Ocampo, professeur à l’Université de Columbia et président de l’ICRICT, a déclaré :
« Malgré les déclarations de célébration d’un petit nombre de dirigeants européens et nord-américains, leur accord sur la fixation d’un taux d’imposition minimum mondial ne fera pas grand-chose pour aider les nations les plus pauvres. Fixer, comme ils l’ont fait, le taux à un niveau bas, 15 %, revient à jeter un verre d’eau sur une maison en feu. Il est crucial de relancer un cycle de négociations plus inclusif qui aboutisse à un nouvel accord fiscal global qui génère les ressources nécessaires pour faire face à l’urgence climatique ».

Thomas Piketty, professeur à l’École d’économie de Paris et membre de l’ICRICT, a déclaré :

« Ce qui a été décidé cette année en termes de taxation des multinationales va dans le bon sens, mais un taux d’impôt minimal sur les entreprises de 15 %, c’est très insuffisant, surtout que ce sont essentiellement les pays du Nord qui se partagent les recettes, les pays du Sud sont complètement laissés de côté. Il faut qu’au moins une partie des recettes pesant sur les acteurs économiques les plus prospères de la planète, qu’il s’agisse des multinationales ou des milliardaires, soient partagées avec les pays du Sud non pas comme une aide, mais sur une base de droits. C’est la seule façon de faire face au défi climatique ».

Eva Joly, ex-membre du Parlement européen et membre de l’ICRICT, a déclaré :
« Il existe encore une fenêtre d’opportunité pour éviter le pire, mais elle est en train de se refermer.  Nous devons de toute urgence décarboniser radicalement nos économies, réduire notre consommation d›énergie et développer massivement les énergies renouvelables. Financer cette révolution coûte cher, mais l’argent existe. Il faut aller le chercher là où il est : dans les comptes des multimillionnaires cachés dans les paradis fiscaux, et surtout dans ceux des multinationales qui, depuis des décennies, ne paient pas leur juste part d’impôts. »

Léonce Ndikumana, professeur à l’Université du Massachusetts Amherst et membre de l’ICRICT, a déclaré :
« Avec 4% des émissions mondiales, l’Afrique a très peu contribué au réchauffement climatique. Pourtant, c’est le continent qui souffre déjà le plus de ses conséquences, et c’est le cas des pays en développement, en général. Les pays riches doivent honorer leur dette climatique, en finançant les pays en développement pour qu’ils s’adaptent aux catastrophes climatiques et effectuent la transition vers des sources d’énergie moins polluantes. Il est rageant, dans ce contexte, de constater que le monde vient de se priver de précieuses ressources financières en adoptant un accord mondial au rabais sur la taxation des multinationales ».

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