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Délégations spéciales: « Les véritables acteurs de la mise en œuvre de la décentralisation sont les élus locaux »

• Un mandat sous le signe de l’union, la cohésion et la visibilité

• La mise en œuvre de la défense civile pour aider à juguler l’insécurité

• « S’il y a des problèmes avec les élus locaux, il va falloir travailler à les résoudre »

Hamado Sakandé est un secrétaire administratif, diplômé en droit public, en poste dans la province du Nahouri comme Secrétaire général de la Commune rurale de Guiaro. Porté à la tête de l’Union nationale des administrateurs civils du Burkina (UNABF) pour un mandat de deux ans, en juillet 2021, il décline dans cette interview accordée à L’Economiste du Faso, sa feuille de route, le fonctionnement du ministère en charge de l’administration du territoire, et la gestion des collectivités territoriales, tombées sous le coup des délégations spéciales avec l’avènement de la Transition. Pour lui, il n’appartient pas à ces équipes dirigeantes temporaires d’opérer des changements profonds, car « les véritables acteurs de la mise en œuvre de la décentralisation sont les élus locaux ».

Sakandé Hamado : « L’objectivité et la bonne gestion des questions foncières ne dépendent pas de la neutralité ou de la coloration de l’équipe, mais des valeurs que les membres de l’équipe incarnent »

L’Economiste du Faso : Cela peut paraitre évident pour un commis de l’Etat, mais pour le commun des Burkinabè, ce n’est pas toujours évident. Alors, qu’est-ce qu’un administrateur civil ?
Un administrateur civil est un agent de la fonction publique titularisé dans un emploi permanent d’administrateur civil et relevant de la famille d’emplois « administration du territoire ».
Il contribue à la réalisation des missions de l’Etat en matière d’organisation, d’administration et de gestion du territoire, de décentralisation et de protection civile. En plus de l’administrateur civil qui est de la catégorie A, il y a le secrétaire administratif qui est de la catégorie B et l’adjoint administratif qui relève de la catégorie C, ils forment ensemble un corps d’élite chargé de la représentation continue de l’Etat. C’est dans ce sens qu’au sens des dispositions du décret 2016-878/PRES/PM que 80% des chefs de circonscriptions administratives, c’est-à-dire, les gouverneurs, les hauts-commissaires et les préfets sont nommés parmi eux. Ils sont aussi mis à disposition dans les collectivités territoriales pour accompagner les présidents des collectivités dans la gestion desdites collectivités.

Vous avez été porté en juillet dernier à la tête de l’Union nationale des administrateurs civils du Burkina (UNABF) pour un mandat de deux ans. Comment se porte cette Union ?
Avant de répondre à votre question, je voudrais profiter de l’occasion pour remercier tous les membres de l’association qui nous ont fait confiance en nous confiant la charge de l’association pour les deux prochaines années et profiter rappeler que l’UNABF est une structure associative qui a vu le jour le 26 avril 2014.
Elle regroupe les administrateurs civils, les secrétaires et les adjoints administratifs de la fonction publique d’Etat du Burkina Faso. Sa vocation première est d’œuvrer pour une administration publique dynamique au service du développement et contribuer à la valorisation et à la visibilité du corps des administrateurs civils. Elle s’inscrit également dans le cercle des associations professionnelles comme une structure d’expertise et de renforcement de capacités de ses membres. C’est dans ce sens qu’elle a organisé, entre autres, les activités suivantes : un symposium d’Etat en 2017 sous le thème : « Quelles réformes pour une administration publique efficace et efficiente : priorité et agenda » ; une conférence publique en 2020 sous le thème : « Enjeux de l’organisation des élections apaisées au Burkina Faso dans un contexte de crise sécuritaire et de fragilité de la cohésion sociale » ; un dialogue démocratique en 2021, en collaboration avec le Centre pour la gouvernance démocratique (CGD), sur le bilan des élections couplées (présidentielle et législatives) du 22 novembre 2020 au Burkina Faso.
Pour revenir à votre question, je dirais que l’UNABF se porte à merveille. Nous sommes en train de jeter les bases de notre stratégie. Nous avons déjà arrêté un thème pour notre mandat qui est « union, cohésion et visibilité du corps des administrateurs civils. Nous allons, dans les prochains jours, présenter le nouveau bureau à notre ministre de tutelle et aux autres responsables des départements ministériels dans lequel les administrateurs civils sont fortement représentés. Il s’agit du Premier ministre, du ministre des Transports et du ministre en charge des affaires religieuses et du culte.

Quels sont les grands chantiers que vous comptez engager ?
Le corps des administrateurs civils est composé d’administrateurs civils, de secrétaires et d’adjoints administratifs. Nous allons travailler à matérialiser cette union à travers une solidarité agissante entre les différents membres. Ensuite, nous allons œuvrer à instaurer une cohésion entre les différentes structures faîtières des administrateurs civils. A titre illustratif, nous avons, en dehors de l’UNABF, le SYNACSAB et l’ANAG. Nous travaillerons à une synergie d’action avec ces différentes structures pour une visibilité et un bien-être des administrateurs civils. Enfin, nous veillerons à professionnaliser davantage l’UNABF pour qu’elle puisse apporter sa contribution à l’édification d’une administration publique moderne au service du développement socioéconomique du Burkina Faso, dans le sens de la restauration de l’intégrité territoriale et de la refondation de l’Etat voulues par les plus hautes autorités de notre pays.

Le ministère en charge de l’administration territoriale connait régulièrement des chamboulements, notamment, des fusions et des scissions. Quelle est l’incidence sur votre travail ?
Le constat est clair qu’à chaque remaniement ministériel, le ministère en charge de l’administration du territoire connait un réaménagement. Cela crée une instabilité du point de vue institutionnel et des difficultés dans la gestion des ressources humaines. Dans le travail quotidien, cela crée une difficulté dans la capitalisation des acquis professionnels.

Dans un contexte marqué par l’extrémisme violent et le terrorisme, vous devez œuvrer à l’animation des préfectures, des hauts-commissariats et des gouvernorats parce que c’est le siège même de la représentation de l’Etat. Une fois que ces structures ne sont pas là, on peut dire aussi que l’Etat n’est pas présent. Comment se passe cette animation ?
Il est clair que ces fléaux empêchent l’Etat d’assumer ses fonctions régaliennes dans les zones fortement impactées. Cela entraine un dysfonctionnement au sein de l’administration du territoire. Malgré cette situation, les circonscriptions administratives continuent tant bien que mal d’assurer la continuité des services publics. De façon pratique, cela se passe hors de leurs limites territoriales, c’est-à-dire, sur d’autres ressorts territoriaux en attendant de meilleurs auspices.
Pour ma part, je pense que cette animation peut se faire aussi à travers la mise en œuvre de la défense civile. En effet, les chefs de circonscriptions administratives sont des officiers de police judiciaire. Ils sont responsables du maintien de l’ordre public et de la sécurité dans les circonscriptions administratives. L’article 107 du décret n°2016-878/PRES/PM/MATDSI/MINEFID du 13 septembre 2016 portant organisation administrative du territoire et attributions des chefs de circonscription administrative au Burkina Faso dispose qu’en cas d’état de siège et d’état d’urgence, le Préfet exerce automatiquement les prérogatives de coordonnateur de la défense civile sur son territoire. A ce titre, en rapport avec les autorités militaires habilitées, il peut mettre en œuvre un plan de réquisition générale ou partielle, un programme de patrouille des forces de défense civile, la tranche départementale de l’effort de guerre du rationnement et/ou de l’approvisionnement spécial.
Ainsi, le gouvernement pourrait actionner sur ce levier déjà prévu par les textes pour apporter une nouvelle dynamique à la lutte contre l’insécurité.

Le Conseil des ministres du 3 août 2022 a procédé à des nominations de Préfets. Malheureusement, on a assisté à des doubles nominations et même à la nomination de personnes décédées. Qu’est-ce qui peut expliquer cela ?
Il y a eu effectivement des agents qui ont été nommés doublement et même un défunt parmi les promus. C’est déplorable. Un constat fait ressortir que ce sont des erreurs administratives qui sont récurrentes. J’ai en souvenir que le 8 juillet 2016, il y a eu un mouvement de Hauts-commissaires et de Préfets de même ampleur que celui du 03 août passé qui a connu presque les mêmes difficultés.
Pour ce qui s’est passé le 03 août 2022, on peut lier cela, d’une part, à la non-mise à jour du fichier des agents qui allait permettre d’identifier clairement la position des agents, et d’autre part, à la discrétion qui encadre la question des nominations.

Le ministère manque-t-il de ressources humaines pour procéder à des vérifications une semaine ou au moins la veille avant d’apporter le dossier en Conseil des ministres ?
Il existe bel et bien des ressources humaines bien outillées pour faire le travail avant les travaux du Conseil des ministres, que ce soit dans les ministères concernés ou au Secrétariat général du gouvernement et du Conseil des ministres. Le seul problème, c’est la question de la confidentialité et la discrétion qui encadre le processus de responsabilisation des agents aux hautes fonctions qui ne permet pas d’inviter beaucoup d’agents à la question. Pour bien faire, il va falloir démystifier la question des nominations, consulter véritablement les agents avant toute responsabilisation et ne pas déduire qu’ils ont été recrutés pour occuper des fonctions. En plus, il faudrait acquérir des logiciels modernes de gestion du personnel et renforcer les capacités des gestionnaires des ressources humaines.

Avec la dissolution des Conseils municipaux et la mise en place des délégations spéciales, les administrateurs civils sont devenus d’office les patrons des collectivités territoriales. Doit-on s’attendre seulement à une gestion des affaires courantes ou y aura-t-il aussi une politique de développement ?
Les délégations spéciales sous le format actuel sont régies par le décret 2022-0118/PRES-TRANS/PM/MATDS/MEFP du 03 portant condition d’installation, composition, organisation, attributions et fonctionnement de la délégation spéciale dans une collectivité territoriale. Son article 33 dispose que les attributions des organes de la délégation spéciale sont celles du Conseil des collectivités territoriales. En clair, il ne s’agit pas d’une approche de gestion des affaires courantes mais de mettre en œuvre des politiques de développement qui sont déjà prévues par des plans d’actions régionaux de la Transition élaborés par les Directions régionales des études et de la planification à partir des plans communaux de développement des Communes. Cela va en droite ligne avec la vision prospective de la décentralisation à l’horizon 2040 et notamment, la stratégie décennale de la décentralisation qui prévoit qu’en cas de dissolution des Conseils de collectivités territoriales, la délégation spéciale soit un outil provisoire de gestion, de régulation et de mise en œuvre de politiques de développement.

Certains pensent que les délégations spéciales, dénudées a priori de coloration politique, sont une opportunité pour opérer de vrais changements. Est-ce votre avis ?
Je ne partage pas cette vision. Pour ma part, les véritables acteurs de la mise en œuvre de la décentralisation sont les élus locaux.
C’est ce qui ressort également des référentiels du cycle III de la décentralisation. Maintenant, s’il y a des problèmes avec les élus locaux, il va falloir travailler à les résoudre au lieu de compter sur des outils provisoires de gestion des collectivités pour opérer des changements.

La question foncière est posée dans toutes les Communes. Une équipe neutre pourrait observer de l’objectivité dans son traitement, car on soupçonne beaucoup d’accointances entre les agences immobilières et les politiques ?
La question est bien encadrée par des dispositions juridiques telles que la loi 034-2009/AN portant régime foncier rural du 16 juin 2009 et son décret d’application, la loi 034-2012/AN portant réorganisation agraire et foncière du 02 juillet 2012 et son décret d’application et enfin, la loi sur la promotion immobilière dont la relecture a fait beaucoup de bruit. L’objectivité et la bonne gestion des questions foncières ne dépendent pas de la neutralité ou de la coloration de l’équipe, mais des valeurs que les membres de l’équipe incarnent.
Une équipe neutre dont la majorité est composée d’intellectuels a déjà beaucoup d’atouts pour lire entre les lignes et prendre des décisions rigoureuses pour le bonheur des populations.
J’invite, pour ce faire, les membres des différentes délégations spéciales à cultiver des valeurs de patriotisme, d’intégrité et à une gestion désintéressée et rigoureuse des affaires foncières locales, pour résoudre les conflits fonciers qui sont récurrents dans les Communes.
Martin SAMA

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