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Assainissement du paysage audiovisuel burkinabè: du rôle du Conseil supérieur de la communication

Il est aujourd’hui sans intérêt de rappeler les missions du Conseil supérieur de la communication (CSC) telles que prescrites par la loi. C’est de cette institution que dépend la configuration du paysage médiatique national, le rôle de l’Etat s’étant érodé au nom de la garantie de la liberté de la presse.

A force de jouer son rôle tant en période ordinaire qu’en période électorale, l’opinion publique a fini par s’imprégner de ses missions. En témoignent les multiples interpellations citoyennes sur les réseaux sociaux, dans une approche critique de certains contenus médiatiques.

En cela, Maître Arnaud Ouédraogo, ancien Directeur de cabinet du CSC, sous madame Béatrice Damiba, a eu le juste mot quand il soutient : « Il faut renvoyer la régulation des médias au cœur du citoyen ». Il ne croyait pas si bien dire ! C’est une opinion qui vient à contrepied de celle généralement répandue, qui fait du CSC le gendarme ou le juge des médias (ou des journalistes).

En vérité, le citoyen est le juge des médias en dernier ressort. Il y a, certes, les sanctions en cas de manquements : celles du CSC, susceptibles d’être attaquées devant le juge traditionnel (le juge des tribunaux). Mais, il y a surtout celle du citoyen qui se révèle être la plus redoutable.

Du jugement du citoyen dépendent, en effet, la crédibilité et la survie même de l’organe de presse, à bien des égards. Tout se joue dans l’adhésion du public, car l’audience d’un organe de presse est incontestablement difficile à acquérir dans un contexte de pluralisme médiatique, marqué par une rude concurrence.

Le paysage médiatique national est caractérisé par une floraison d’organes de presse, toutes typologies et orientations éditoriales confondues. On dénombre :

– 58 radios et télés commerciales ;

– 52 radios et télés communautaires ;

– 46 confessionnelles ;

– 19 radios et télés communales .

La création de tant d’organes de presse a-t-elle tenu compte du potentiel publicitaire et d’annonces, source principale de leurs recettes ?

Des études préalables ont-elles été menées, à la diligence du CSC, pour avoir une bonne connaissance de l’environnement économique dans lequel il autorise la création des organes audiovisuels privés commerciaux ?

La question fondamentale est celle-ci : le tissu économique peut-il générer une manne publicitaire suffisante pour soutenir la rentabilité de deux ou trois organes de presse dans certaines localités où ils sont créés ?

Evaluation préalable

A tout le moins, l’évaluation préalable des potentialités publicitaires des zones où des projets de création d’organes de presse sont portés devrait s’imposer. Il peut être fait exception des radios associatives/communautaires et religieuses, censées pouvoir elles-mêmes assurer le financement du fonctionnement des organes qu’elles créent. Ce propos doit être, cependant, fortement nuancé, parce que le CSC a eu la maladresse de leur accorder des quotas de diffusion publicitaires, sans pouvoir en assurer le respect ou le contrôle. Il en est autant des radios communales dont je suis contre le principe de la création, au regard de l’ambiguïté de leur statut juridique. Emanant de collectivités décentralisées, l’on peut les mettre dans la catégorie des médias publics, étant sous la tutelle des Communes. Il y a, quelque part, la main de l’Etat.

Pour revenir à la politique nationale de la radiodiffusion (si elle existe), elle n’a pas tenu compte des réalités économiques du pays. Des pays comme la Côte d’Ivoire ont libéralisé progressivement leur paysage médiatique. En radio, la ville d’Abidjan n’en compte qu’une dizaine. L’on connait les immenses potentialités économiques et financières de la ville d’Abidjan. A Bouaké, l’on en dénombre pas plus de deux ou trois. Les chiffres peuvent avoir évolué, mais c’est dans la prudence que l’autorité de régulation a autorisé la création des organes audiovisuels privés (les médias chauds, pour emprunter un lexical professionnel).

En télévision, il a fallu attendre l’avènement de la TNT pour amorcer l’ouverture, mais de façon drastique. Seules quatre (4) télévisions ont été autorisées, avec comme exigence la constitution préalable d’une caution d’un milliard cinq cent millions (1.500.000.000) FCFA. Le niveau de la caution est appréciable et peut paraître prohibitif pour certains pays comme le Burkina Faso. Mais cette caution a le mérite de pouvoir soutenir le fonctionnement de l’organe pendant trois à quatre ans, avant que celui-ci puisse générer des ressources suffisantes pour garantir sa pérennité.

Il est, certes, vrai qu’une restriction drastique du nombre d’organes peut être attentatoire à la liberté de la presse et au pluralisme de l’information. Mais, il ne faut surtout pas confondre le pluralisme de l’information avec le pluralisme médiatique.

Réfexion d’ensemble

Au Burkina Faso, il ne semble pas avoir eu une réflexion d’ensemble avec tous les acteurs, notamment, les associations professionnelles, pour élaborer et faire mettre en œuvre par le CSC une politique nationale de la radiodiffusion. Malgré l’appel à candidatures auquel le CSC procède pour sélectionner les meilleurs projets de création d’organes audiovisuels privés, l’on n’est pas loin de penser que c’est à la criée que l’on autorise l’ouverture de ces organes.

L’on pourrait poser, à nous autres qui avons occupé divers niveaux de responsabilité dans cette institution, la question suivante : pourquoi maintenant cette approche critique (au moment où nous n’y sommes plus) ?

Pour ma part, j’avais attiré l’attention du président Luc Adolphe Tiao sur les dangers d’une ouverture tous azimuts d’organes audiovisuels privés. L’attention de la présidente Damiba avait été également appelée sur cette question.

Assez paradoxalement, et sous deux mandatures différentes, comme s’ils s’étaient concertés (c’est, en principe, impossible), les deux présidents ont eu presque la même réponse : ce n’est pas en limitant le nombre d’organes de presse que l’on ferait l’affaire. Sur certaines de mes prises de position, monsieur Shérif Sy m’avait accusé d’incarner une vision liberticide de la liberté de la presse. Il y a de l’extrémisme dans son jugement (il en est coutumier), car la liberté de la presse n’est pas forcément limitée par le nombre restreint d’organes de presse. Il y a lieu, cependant, de reconnaître que le pluralisme médiatique est une condition idoine pour le pluralisme de l’information, sans forcément être mis en adéquation.

J’élude la question de la presse écrite. Dans ce domaine, l’on meurt comme l’on naît. La sanction du citoyen est toujours tombée. Face à une désaffection du public, il faut mettre tout de suite la clé sous le paillasson. Ce n’est pas exactement le même cas pour l’audiovisuel, où, même avec des recettes précaires, les promoteurs optent pour la survie.

J’ai parcouru tout le territoire national pour réaliser une étude d’audit du fonctionnement des médias communautaires, étude commanditée par l’Association mondiale des radios communautaires (AMARC-Afrique du Sud). J’avais saisi l’opportunité pour étendre le champ de l’étude aux radios et télévisions commerciales et religieuses.

Déjà, pour certains de ces organes, le décor du bâtiment qui abrite le personnel et le matériel technique offre une vue désolante.  Au plan financier, le chiffre d’affaires de certains organes, surtout en zone semi-urbaine et rurale, n’excède guère huit (8) à dix (10) millions de francs CFA. Seule la radio Munyu de Banfora, à l’époque (une radio de femmes), réalisait (en dehors des médias de Ouaga et de Bobo) un chiffre d’affaires avoisinant quarante millions (40.000.000) de francs CFA.

Qu’est devenue cette radio qui était citée en exemple ? L’instabilité des dirigeants a-t-elle porté atteinte à son image et à sa solidité financière ?

Je l’ignore.

Pour les autres cas, comment assurer le fonctionnement d’une radio avec un chiffre d’affaires dérisoire ? D’où la précarité sociale des journalistes de ces organes. Les salaires des journalistes en zone semi-urbaine ou rurale oscillent entre 30.000 et 50.000 francs CFA ; de quoi assurer juste la charge du carburant et s’offrir quelques plaisirs sporadiques.

Heureusement, le charme du journalisme attire de nombreux bénévoles. Etre réputé dans une radio ou une télévision, pour sa plume en presse écrite, offre un prestige social qui paie bien. Interrogé sur la question de la nécessité d’un assainissement du paysage médiatique national, lors d’un séminaire tenu au CSC, le Professeur Serge Théophile Balima avait soutenu l’idée d’un probable chaos fécond.

Comment un chaos peut-il être fécond, lui avions-nous rétorqué ?

Le professeur, en guise de réponse, s’était contenté d’un sourire.

Comme vous le savez, les journalistes qui passent par la diplomatie savent tout autant tendre les pièges que les esquiver. Sans doute, le Professeur Balima avait-il voulu s’inscrire dans une dialectique où les médias qui tiendront la concurrence survivront et ceux qui ne la soutiendront pas seront voués à leur propre mort.

Mais comment a-t-on pu soumettre les organes de presse à de telles aspérités existentielles ?

J’indexe encore une fois le Conseil supérieur de la communication. Mais j’ai pleinement connaissance des pressions de tous ordres qui pèsent sur les épaules des présidents de l’instance de régulation (ce n’est pas une spécificité burkinabè). Elles sont d’ordre politique, économique, religieux, et même régional.  Au plan régional, les figures emblématiques cherchent parfois, voire toujours à faire rayonner leur religion, leur assise électorale, leurs affaires ou simplement à renforcer leur prestige social.

Il n’est pas toujours facile aux présidents du CSC de résister à de telles pressions. Entre nous, comment aurait-on pu refuser à Simon Compaoré l’ouverture d’une radio communale à Ouagadougou ?

Mais dans leurs démarches pédagogiques, les présidents du CSC parviennent à juguler partiellement ces pressions par des explications.

Finalement, au regard de la précarité sociale des journalistes induite par le nombre élevé d’organes de presse qui appelle à la nécessité d’un dégraissement progressif du paysage audiovisuel national, l’on peut conclure par le mot du Dr Mahamoudou Ouédraogo : « La pauvreté du journaliste produit un journalisme de pauvreté ».o

TIONON K. Justin

Chevalier des Arts, des Lettres et de la Communication

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