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Poulet bicyclette: labélisé, et après ?

• Difficile de trouver le produit sur le marché

• La politique d’accompagnement tarde à voir le jour

• « Si rien n’est fait, la labélisation sera un leurre »

Sié Seydou Coulibaly, président de l’Interprofession aviculture moderne (IPAM-B). (Ph: Yvan SAMA)

«Poulet bicyclette labélisé ? C’est quoi ça ? Tu veux manger poulet ou bien tu cherches à connaitre le nom ». « Quand les gens viennent ici, ils veulent du poulet. Ils ne demandent ni la race ni le nom, encore moins l’âge…, pourvu que le poulet soit gros ». Avec une trentaine d’années cumulées à eux deux dans la vente de poulet grillé dans la ville de Ouagadougou, Boukaré Ouédraogo et Salam Soré restent scotchés aux principes de leurs clients. Pour eux, le critère de consommation tient à deux fils : l’animal et la taille. La perception du marché de tels acteurs contraste avec la volonté du gouvernement de donner une identité propre au poulet du Burkina Faso.  Le lancement du processus de labélisation du poulet local a eu lieu le 5 juillet 2021, à Ouagadougou. Le gouvernement, à travers le ministère en charge des ressources animales et celui du commerce, a voulu favoriser une meilleure valorisation du produit et faciliter son positionnement sur le marché international. Pour arriver au bout du processus, plusieurs acteurs ont été associés et de nombreuses étapes ont été nécessaires. « Nous avons procédé à des sorties de sensibilisation et d’animation sur le processus de labélisation et son impact sur la filière dans toutes les régions du pays. Après avoir eu l’adhésion des producteurs, on a procédé à l’élaboration des instruments techniques, notamment, le cahier des charges et le manuel d’usage. Cette étape a vu l’implication des acteurs publics, les techniciens du ministère, les chercheurs, les organisations professionnelles. », explique Boureima Sawadogo, président de l’Interprofession de la filière volaille locale du Burkina (IPVL) et un des acteurs du processus.  C’est finalement le 11 novembre 2022 que le ministre de l’Agriculture, des Ressources animales et halieutiques de l’époque, Dénis Ouédraogo, a procédé, à Ouagadougou, au dévoilement du logotype du label poulet bicyclette, réalisé par Abdoul Guébarou Balma.  Il rassurait alors que son département est disposé à accompagner les acteurs de la filière à travailler à l’amélioration de la qualité et à l’identification des caractéristiques spécifiques du poulet bicyclette, afin de les positionner sur les segments de marché les plus rémunérateurs tout en sécurisant le consommateur et en sauvegardant ce patrimoine national dont la renommée s’étend au-delà des frontières du Burkina Faso. Cette opération est du goût des professionnels du secteur qui y trouvent une plus-value. « Un produit dit labélisé est un produit de qualité qui se vend cher. La labélisation permet de protéger notre produit. Le poulet labélisé va se vendre à prix d’or non seulement sur le marché local, mais aussi sur le marché international », se réjouit Boureima Sawadogo. La labélisation qui oblige à avoir un cahier des charges, un itinéraire clair et précis devrait permettre à celui qui souhaite avoir du poulet bicyclette d’en avoir réellement et d’en payer le prix.  La labélisation donne des arguments à l’Etat de travailler à préserver ce poulet. Cela permettra également de lutter contre la concurrence déloyale, parce que sur le marché, on a des animaux qui sont présentés comme des poulets bicyclettes, alors que ce n’est  toujours pas le cas.

Le label est là, pas le produit

Même si le poulet local peut être acheté dans tous les coins de rue au Burkina Faso, il n’existe pas encore de poulet bicyclette labélisé dans le pays . (Ph: Yvan SAMA)

Que faut-il comprendre par poulet bicyclette et poulet bicyclette labélisé ? « Le poulet bicyclette, c’est le poulet de notre terroir élevé dans des conditions traditionnelles, c’est-à-dire, avec une faible utilisation d’intrants et transporté essentiellement par la bicyclette du domicile au marché primaire, souvent du marché primaire au marché secondaire. On dit poulet bicyclette, certes, mais la pintade locale est aussi incluse dans ce vocable, parce qu’elle est transportée dans les mêmes conditions », décrit Dr Seydou Ouattara, Directeur du Centre de promotion de l’aviculture villageoise (CPAVI).  La distinction est difficile entre les deux à vue d’œil, certes, mais la seule certitude c’est que le « poulet bicyclette » authentique a un bec noir, des pattes noires et un plumage de type africain qui peut être blanc, gris, rouge, multicolore,.… « Sa chair est plus ou moins dure à mâcher par rapport aux autres poulets qui sont beaucoup plus friables et la saveur est naturelle », ajoute Sié Seydou Coulibaly, président de l’Interprofession aviculture moderne (IPAM-B), avant de préciser que : « Nous ne sommes pas du tout concurrents, mais complémentaires ».  Même si ce type de poulet est victime de croissements incontrôlés avec d’autres races, on peut encore en trouver, nuance  Dr Ouattara: « Dans les élevages traditionnels de certaines contrées lointaines, évidemment, on trouve toujours du poulet d’apparence locale. Je pense aux régions du Sud-Ouest et de l’Est surtout. La chance que nous avons avec le poulet local, c’est que dans certains cas, les souches exotiques avec lesquelles il est croisé sont récessives sur le plan génétique. Autrement, si à un moment donné, on arrête les croisements ou on laisse les poulets locaux se reproduire entre eux, on finira par retrouver la race locale ». C’est à ce poulet qu’on a décidé d’attribuer un logotype symbolisant le label, qui est devenu « poulet bicyclette labélisé ». Sa production et sa commercialisation doivent respecter des critères contenus dans le cahier des charges et le manuel d’usage.

Le poulet labélisé devrait se vendre à prix d’or non seulement sur le marché local, mais aussi sur le marché international. (Ph: Yvan SAMA)

« Du poulet bicyclette, on en trouve partout, mais du poulet bicyclette labélisé, on n’en trouve pas encore ». Ces propos du président de l’Interprofession de la filière volaille locale du Burkina (IPVL) révèlent les efforts à fournir pour parachever le processus.  Son homologue de la volaille moderne est sceptique : « Si rien n’est fait, la labélisation sera un leurre ». Pour lui, quatre contraintes majeures risquent de réduire à néant les efforts déjà consentis : les métissages, la durée de la production, l’absence d’espace et la non-disponibilité à grande échelle.  « Il y a eu beaucoup de croisements d’abord au niveau de ceux qui font la volaille moderne et les poulets importés ont envahi par la suite les villages. Le cycle de production du poulet bicyclette est assez long, car il lui faut au minimum 7 mois, alors que les autres ont des cycles de 45 à 60-70 jours.  La particularité de cet élevage est la possibilité offerte à l’animal de se promener dans la nature pour sa pitance, alors que nous assistons de plus en plus à la réduction des espaces de production. Avec le facteur démographique, la production de poulets bicyclettes n’arrive pas à satisfaire la demande », se défend-il.

De l’avis du Directeur du CPAVI, le poulet bicyclette peut bien être produit à grande échelle, pour peu qu’on prenne en compte les caractéristiques propres à l’animal. « Si on veut comparer sa productibilité avec celle du poulet importé, ce ne serait pas équitable. Il est demandé au poulet local de produire de la chair et des œufs à la fois, alors qu’avec les souches importées, il y a une souche spécifique pour chaque besoin.  Si on veut comparer les deux, on peut penser que le poulet local a une faible productibilité, ce qui n’est pas réel. Nous devons plutôt travailler à valoriser les potentialités du poulet local, notamment, ses caractéristiques organoleptiques très spécifiques », affirme-t-il. Boureima Sawadogo pense qu’ : « il faut appuyer les grands producteurs déjà sur le terrain en fonction des besoins de chaque producteur : la protection sanitaire, les incubateurs, les bâtiments, l’aliment équilibré adapté ».

« Tout est une question de volonté politique, si le politique se démarque des actions de saupoudrage pour apporter des appuis réels.

Moumouni SIMPORE

Encadré

Quid du logo ?

Le logo du label a été réalisé par Abdoul Guébarou Balma, qui est arrivé premier au concours lancé à cet effet. Il a, pour l’occasion, reçu un chèque d’un million deux cent mille FCFA. Il affirme que le logo a été construit autour d’éléments comme le goût, le dynamisme, les différentes régions. « Le support représente une assiette et aussi une capsule, c’est pour matérialiser le goût particulier du poulet bicyclette. Il y a aussi une roue avec treize rayons qui matérialise les treize régions d’où proviennent les poulets bicyclettes. Le dynamisme qui représente l’engagement du gouvernement à accompagner le processus est matérialisé par la roue. Le dynamisme-croissance est un clin d’œil fait aux éleveurs, car c’est une filière qui fait vivre beaucoup de personnes », explique le concepteur du logo.

Se défaire des incohérences ?

Le gouvernement burkinabè dit vouloir « préserver et améliorer » le poulet autochtone contre les races exotiques. Pourtant, la Fondation Bill et Melinda Gates s’investit, depuis des années, dans un effort de croisement des poulets burkinabè avec des poulets français pour augmenter la productivité. A travers le projet « Poulet du Faso », le couple richissime a octroyé 7 millions de dollars US en 2015 à CEVA et SASSO, deux entreprises françaises, pour faire ces croisements et développer des poulets « métis » pour le Burkina. Avec le projet « Sustainable access to poultry parental stock in Africa » (Accès durable aux souches parentales de volaille en Afrique), ils ont également injecté 9 millions de dollars dans SASSO, devenue maintenant une unité de Hendrix Genetics (Pays-Bas), afin de créer des races à double usage (œufs et chair) pour le Burkina. Les Gates financent également la Fondation mondiale du poulet (USA), qui travaille avec la grande multinationale pharmaceutique Merck pour développer les produits vétérinaires nécessaires à l’élevage de ces poulets « améliorés » en Afrique. Or, tous ces projets comportent un volet d’essai et d’adaptation sur place, au Burkina, dans des fermes locales. 

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