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Mise en œuvre de la gratuité des soins: le facteur financier, principale difficulté

• Sa soutenabilité par le seul Budget de l’Etat reste posée

• …entrainant des ruptures de stocks de médicaments et consommables 

• Les recommandations des Députés de l’ALT

C’est en mars 2016 que le gouvernement du Burkina Faso a adopté, par décret, la Politique nationale de gratuité des soins (PNGS), politique visant à augmenter l’accès et le recours aux services de soins de santé pour les femmes enceintes et les enfants de moins de 5 ans. Afin de s’informer sur le système de financement de la PNGS, les Députés de l’Assemblée législative de transition (ALT), à travers la COMFIB, ont initié, en avril 2025, une mission d’information. Elle leur a permis de s’entretenir avec les différents acteurs en charge de la mise en œuvre de la PNGS, d’apprécier l’effectivité et l’efficacité de la gratuité des soins, de déceler les défis y liés, de formuler des recommandations, etc.
La COMFID a présenté son rapport de mission, lors de la séance plénière du 4 juin 2025. Et il ressort que près de dix ans après sa mise en œuvre et malgré l’insuffisance des ressources financières, couplée au nombre croissant des bénéficiaires, la gratuité des soins reste toujours en vigueur au Burkina Faso. Elle a entrainé une augmentation notable de la fréquentation des services de santé, en particulier, pour les consultations prénatales, les accouchements et les soins pédiatriques.

Des difficultés subsistent

Dans le rapport signé du président de la COMFIB, Moussa Nombo, on note que la grande difficulté de la PNGS reste son financement et sa soutenabilité par le Budget de l’Etat.

Malgré ces points positifs, des difficultés subsistent. Dans le rapport signé du président de la COMFIB, Moussa Nombo, on note que la grande difficulté de la PNGS reste son financement et sa soutenabilité par le Budget de l’Etat. «…le point commun à toutes ces difficultés demeure l›insuffisance des ressources financières. Si dans les centres hospitaliers, la gratuité est mise en œuvre avec des points de satisfaction, sa soutenabilité par le seul Budget de l’Etat reste posée. Cette problématique de financement est aussi présente dans les CMA, les CM et les CSPS », résument les Députés dans leur rapport. « Initialement, le gouvernement assurait le pré-positionnement de fonds destinés à remplacer les paiements directs à la charge des usagers et permet aux établissements de santé publics de dispenser gratuitement les services de santé de la mère, du nouveau-né et de l’enfant (SMNE). Ce mécanisme a évolué pour aller vers un remboursement. Les centres hospitaliers visités par la mission parlementaire ont reconnu que la mise en œuvre de la gratuité des soins a entraîné une augmentation des dépenses de santé, mettant sous pression les ressources financières disponibles », peut-on y lire.
A titre d’exemple, le montant inscrit au Budget de l’Etat en 2025 est de 21 milliards FCFA. Ce montant qui peut être qualifié de forfaitaire ne procède pas d’une évaluation du coût induit par la gratuité. Une situation qui a eu pour effet immédiat les retards et le non-remboursement intégral des montants dus aux formations sanitaires. Par ailleurs, une telle budgétisation ne tient également pas compte des charges indirectes induites par la gratuité : achats de matériels, de registres, divers imprimés, voire l’engagement d’opérateurs de saisie par certaines formations sanitaires, de frais de connexion.
La seconde difficulté perçue par les Députés concerne les ruptures de stocks de médicaments et consommables. « L›augmentation de la demande de soins n›est pas allée de pair avec les moyens financiers alloués aux centres hospitaliers. Le manque de ressources financières, l›insuffisance et l›incomplétude des remboursements, la lourdeur de passation des marchés publics mettent à rude épreuve leur capacité d’approvisionnement en médicaments essentiels génériques (MEG), entraînant des ruptures de stocks et une baisse du taux de satisfaction des structures », explique le document. Sur la problématique des ruptures et d’absence de molécules auprès des formations sanitaires, elle provient principalement de la CAMEG dont la capacité de commande auprès des fournisseurs est affectée par les dettes non remboursées. « La principale difficulté qui a retenu l’attention de la mission est le dispositif de ravitaillement des formations sanitaires en médicaments et consommables médicaux. Le maillon essentiel de ce dispositif qu’est la CAMEG fait face à un véritable défi d’assurer sa mission de distributeur en situation de monopole », affirme le Député Nombo, président de la COMFIB. Il ressort de la mission d’information que toutes ces formations sanitaires de référence sont en attente des remboursements dus à la gratuité, pendant qu’elles sont redevables à la CAMEG de montants élevés. Tous les centres hospitaliers visités enregistrent des arriérés de paiement au titre des années antérieures et au 1er trimestre 2025.
A ces deux premiers défis, la COMFIB note aussi l’insuffisance en personnel de santé, de même que l’absence de procédures spécifiques de passation des marchés dans les centres hospitaliers. Pour les acteurs, cette absence est vue comme une grosse difficulté qui entrave souvent la gratuité des soins.
En effet, en cas de rupture des médicaments à la CAMEG, la lourdeur et la lenteur des procédures communes de passation entrainent une indisponibilité du produit dans la formation sanitaire, avec des conséquences dommageables pour les malades.
ESS

Encadré

Les solutions des acteurs clés et les recommandations
des bénéficiaires

Les solutions proposées par les acteurs clés sont, notamment :
• le remboursement intégral et à temps des factures de la gratuité, avec l’effectivité du remboursement mensuel; la résolution des problèmes de rupture de médicaments et de consommables au niveau de la CAMEG et l’implication des acteurs terrain dans la prise de décisions relatives à la mise en œuvre de la PNGS ;
• la révision de l›acte sur les tarifs harmonisés pour prendre en compte les prestations et les consommables non remboursés, la relecture du décret N201 6-3 1 1/PRES/ PM/MS/MATDSI/MINEFID du 29 avril 2016 portant gratuité des soins au profit des femmes et des enfants de moins de cinq ans vivant au Burkina Faso ;
• le financement innovant de la gratuité (Assurance maladie universelle, impôts et taxes spécifiques, contribution des bénéficiaires); la facilitation de l’acquisition des produits hors CAMEG (diversification des fournisseurs) et l’harmonisation des coûts des produits et des consommables pour faciliter le recouvrement auprès de l’Etat ;
• l’allègement des procédures de passation des marchés pour les CHR et les CHU ;
• la contribution symbolique aux frais des soins par les bénéficiaires en lieu et place de la gratuité intégrale, la digitalisation complète de la mise en œuvre du système de gratuité des soins ;
• la disponibilisation permanente des produits d’urgence ; l’amélioration de la capacité d’accueil des structures sanitaires ; le renforcement de l’effectif des ressources humaines de santé ; l’élargissement du panier de la PNGS aux pathologies chroniques et aux personnes âgées et le renforcement des capacités des COGES.

Les suggestions faites par les bénéficiaires sont les suivantes:
• élargir le contenu réel de la gratuité : garantir systématiquement la disponibilité des médicaments et examens essentiels, humaniser la prise en charge et l’empathie du personnel soignant ;
• renforcer l’accueil, la communication et renforcer les effectifs et les infrastructures : réduire l’attente, améliorer les conditions d’accueil ;
• éduquer les usagers sur leurs droits et devoirs pour qu’ils sachent ce qui leur est dû et puissent le revendiquer sans confrontation ;
• prévoir une contribution minimale forfaitaire pour assurer la pérennité de la politique.

Filet ouvert

Sur la Politique nationale de gratuité des soins (PNGS)

La PNGS est mise en œuvre dans tous les établissements de santé publics et dans certains établissements privés, notamment confessionnels. Elle a pour cibles :
– Les enfants de moins de 5 ans ;
– Les femmes enceintes ;
– Les femmes en post-partum jusqu’à 42 jours après l’accouchement ;
– Les femmes après avortement, les femmes présentant une fistule obstétricale ;
– Les femmes pour le dépistage des cancers de sein et du col de l’utérus ;
– Les actes médicaux et les services relatifs à la PNGS ;
– Les soins préventifs et curatifs chez la femme enceinte et l’enfant de moins de 4 ans ;
– La consultation prénatale (CPN), les services de maternité, les soins post-partum (42 jours après l’accouchement) et la planification familiale ;
– Les actes chirurgicaux et les pansements ;
– La prise en charge du dépistage et du traitement des lésions précancéreuses du col de l’utérus et du sein ;
– Les médicaments, les consommables médicaux et les consommables d’imagerie médicale ;
– Les examens d’imagerie, notamment, l’échographie et la radiographie ;
– Les analyses de laboratoire, notamment, les examens sanguins et les réactifs ;
– Les tests et prises en charge du VIH ;
– L’observation et l’hospitalisation des femmes et des enfants de moins de 5 ans
malades ;
– La prise en charge des évacuations à l’intérieur du pays (carburant).

 

Filet fermé

Mécanisme de prise en charge d’un bénéficiaire de la PNGS
Pour bénéficier de cette gratuité, on distingue 2 cas :

Circuit d’un patient externe
Un patient qui arrive dans un centre de santé, après consultation, se voit délivrer au moyen d’un ordonnancier à souche, soit une ordonnance, soit des bulletins d’examen (bulletin d’examen à souche) et une ordonnance. Puis, il se rend au service de la gestion administrative des patients pour son enregistrement et la facturation. Par la suite, il est dirigé au niveau du dépôt MEG avec l’ordonnance pour se faire servir les médicaments prescrits selon la disponibilité audit dépôt ou dans les services techniques avec les bulletins pour bénéficier de la prestation. Enfin, le gérant du dépôt MEG enregistre le FIS sur la plateforme e-gratuité.

Circuit d’un patient hospitalisé
Dès son admission, une fiche individuelle de prise en charge est ouverte pour le patient. Cette fiche sert de lien entre les différents services de la structure sanitaire où la prestation demandée existe, notamment, la pharmacie, le laboratoire et l’imagerie médicale. Tous les examens sont répertoriés sur la fiche et les bulletins sont émis pour tout examen. A la sortie du patient, un billet de sortie est délivré, la fiche individuelle de prise en charge est transmise au service de la gestion administrative des patients pour saisie.
Un récapitulatif des prestations couvertes (actes, médicaments et examens) est fait et la fiche individuelle (pour les malades hospitalisés) ou l’ordonnance (pour les malades en ambulatoire) est établie. En fin de journée, toutes les fiches, les bulletins d’examens et les ordonnances sont transmis pour saisie dans la plateforme. Les saisies sur la plateforme sont effectuées sur une période d’un mois (entre le 26 du mois en cours au 25 du mois suivant, avec une possibilité de poursuivre jusqu’au 5 du prochain mois). Après les saisies, un rapport mensuel est généré par le système. Ce rapport fait la synthèse du nombre de prestations, le coût y relatif et servira de base pour les remboursements.

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