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Autosuffisance alimentaire: « Si le matériel est disponible, on peut rapidement relever les défis », Kani Bicaba, producteur semencier

Grand producteur semencier dans la Boucle du Mouhoun, Kani Bicaba est passé prendre le café à L’Economiste du Faso dans l’après-midi du 12 juin 2025.
Entre deux tasses, l’homme a pu confier à la Rédaction, ses prévisions pour la campagne agricole humide en cours et sa vision pour atteindre l’autosuffisance alimentaire au Burkina Faso. Pour lui, le défi peut rapidement être relevé, pour peu que chacun joue sa partition. Pour sa contribution exceptionnelle à la production agricole au cours de l’année et dans l’atteinte de la sécurité alimentaire au Burkina Faso, L’Economiste du Faso l’avait désigné « Personnalité de l’année 2024 », dans la catégorie agriculture.

L’Economiste du Faso : On sait que la campagne a été officiellement lancée en mai dernier par le gouvernement dans les Hauts-Bassins. Alors, vous, à votre niveau, comment avez-vous préparé donc ce début de campagne ?

En plein échange avec les journalistes.

Kani Bicaba, producteur semencier : Il y a longtemps que nous n’avons pas reçu de pluies précoces comme cette année. Dans notre région, dans la Boucle du Mouhoun, les premières pluies ont commencé à partir du 15 mai. Ce phénomène nous a, certes, surpris, mais à partir du 20 mai, voire 25 mai, nous avons commencé les premiers labours et les semis. Aujourd’hui, nous sommes au 12 juin et si la météo continue à être aussi bonne, alors, la saison sera bonne.

On sait que votre travail, principalement, c’est la production de semences. Pour cette campagne-là, quels sont les types de semences que vous avez mis à la disposition des producteurs ?
Cette année, ma société, Kaworo de Ouarkoye, a pu mettre à la disposition des producteurs et du ministère de l’Agriculture des semences. On a pu livrer ainsi 548, 215 tonnes de maïs SR21, 6,274 tonnes de maïs hybride, 39, 399 tonnes de petit mil, 88,721 tonnes de sorgho, 4,428 tonnes d’arachides, 3, 159 tonnes de soja, 5,441 tonnes de riz irriguéTS2, 76 tonnes de niébé.
En plus de la commande de l’Etat, on vend aux producteurs et aux coopératives. Cette vente se fait par lot de 10, 15, 50, 100 kg et ce n’est que le 15 juillet qu’on pourra faire le point de la quantité livrée à ces entités.

L’année passée, vous nous disiez qu’il vous manquait à peu près 8 hectares pour faire 600 hectares. Pour cette année, avez-vous augmenté votre surface culturale ? Avez-vous une superficie déterminée par spéculation ?
Cette année, en ce qui concerne le maïs, on a prévu 300 hectares. On a une prévision de 100 hectares pour le petit mil et le sorgho. On a déjà fait 30 hectares de coton. Je crois que d’ici fin juillet, on va avoir le nombre exact d’hectares par spéculation. Pour le moment, nous sommes en train de dérouler notre programme. En plus de ce que j’ai déjà cité, on va cultiver également du riz, du soja, du niébé et de l’arachide.
Pour cette campagne, nous allons accueillir six étudiants de l’Université Nazi Boni pendant 2 mois, pour leur stage de fin de formation. Ils vont rédiger leur Mémoire à partir de nos différentes productions.

Peut-on avoir une idée du nombre de personnes qui travaillent à votre côté?
Dans l’agriculture, si tu as le matériel, notamment les appareils de traitement, tu n’as pas besoin de trop de monde. Je n’ai pas le chiffre exact, mais j’ai une centaine de permanents autour de moi, constitués de mes enfants et des autres ménages. C’est au moment de la récolte qu’on prend beaucoup de gens. A cette période, on peut avoir entre 500 et 1.000 personnes pour les travaux ponctuels ou journaliers.

En termes de matériel agricole, quels sont les matériels que vous utilisez ?

«Au lendemain d’une pluie, s’il y a beaucoup d’eau dans la terre, il est difficile d’utiliser les tracteurs, alors, ce sont les bœufs de trait qui vont travailler dans le champ».

Mon point fort, ce sont les tracteurs et les bœufs de trait. J’ai plusieurs tracteurs et 42 bœufs de trait. Quand les tracteurs ne peuvent plus travailler, les bœufs prennent le relais. Par exemple, au lendemain d’une pluie, s’il y a beaucoup d’eau dans la terre, il est difficile d’utiliser les tracteurs, alors, ce sont les bœufs de trait qui vont travailler dans le champ.

En parlant de tracteurs, justement, on a suivi, en mai dernier, la remise d’un important lot de matériel agricole par le chef de l’Etat au monde rural. Vous, de votre point de vue, comment appréciez-vous cette politique-là ? Est-ce quelque chose qui peut encourager ou au contraire cela peut rendre les producteurs paresseux ?
Rendre les producteurs paresseux. Non, pas du tout. On ne peut plus cultiver avec la main, ou du moins avec la main, on ne peut qu’exploiter de petites superficies. Mais avec le matériel, on peut augmenter la production et ça donne le courage même aux producteurs pour davantage produire. Donc c’est très important. De plus, le matériel va être utilisé parce que les gens ont besoin de ça. Ça va marcher.

Vous, individuellement, ou bien les coopératives avec lesquelles vous travaillez, avez-vous bénéficié de ce matériel l›année passée et pour cette année ?
Depuis que je produis les semences, en tout cas, j’utilise mon propre matériel. La politique de l’Etat qui m’a été vraiment profitable, c’est la vente des tracteurs à prix subventionnés. J’ai payé ainsi une vingtaine de mes tracteurs avec l’Etat.

Dans sa politique d’accompagnement du monde rural, l’Etat procède aussi aux labours gratuits pour les producteurs. Vous, à votre niveau, qu’est-ce qui manque encore pour que le Burkina Faso arrive à l’autosuffisance alimentaire?
Les labours gratuits, c’est bien, mais c’est pour les petits producteurs. Et qui dit petit producteur, dit aussi petite production. Un grand producteur, qui exploite au moins 50 hectares, n’a pas forcément besoin de labours gratuits mais de ses propres tracteurs. Il faut que l’État fasse un effort pour trouver des grands producteurs pour les appuyer avec les tracteurs individuellement. Par exemple, moi, mon tracteur peut faire 40 hectares par jour. Est-ce que moi j’ai besoins de labours gratuits ?
À vous écouter, vous êtes confiant que le Burkina peut atteindre l’autosuffisance alimentaire…
Le plus rapidement possible. Si en tout cas, le matériel est disponible et que les gens se mettent au travail, on peut rapidement relever les défis. Par exemple, je crois que si le Burkina fait au moins 10.000 hectares de maïs, en raison de 3 tonnes par hectare à la récolte, ça fait combien ? Et là, je parle de 10.000 hectares d’abord.
Je vois que si moi, je peux faire jusqu’à 600 hectares avec le matériel que j’ai, je crois que si les gens ont suffisamment de matériel, ils feront mieux, surtout que le sol que nous avons est favorable. Cependant, il faut beaucoup de vigilance, car il y a beaucoup de brebis galeuses. Certains sont dans l’agriculture mais ne sont pas du tout motivés et d’autres sont dedans pour faire des affaires.

On veut bien vous croire, c’est juste que ça fait tellement des années qu’on nous dit que le Burkina n’arrive pas à l’autosuffisance alimentaire. Finalement, on s’est dit que le problème n’est pas seulement au niveau des producteurs, mais c’est peut-être aussi au niveau de toute la chaîne…
Oui, les responsabilités sont partagées. En production agricole, il faut le labour, la bonne semence, l’engrais de qualité et le travail de production. Si tu commences le labour, il faut des intrants. Il revient à l’Etat d’assurer en grande partie les trois premiers besoins. Le manque ou l’insuffisance de semences et d’engrais de qualité va fortement jouer sur la production. Ces deux dernières années, l’Etat a fait beaucoup d’efforts en termes d’engrais et de semences. Cela a été ressenti dans les résultats de la saison. Par exemple, la dotation en intrants de l’année passée à elle seule dépasse le cumul de la dotation des cinq années. Et en 2025, les chiffres ont été revus à la hausse, tant au niveau des engrais que des semences et même du matériel.
Entretien réalisé par la Rédaction

Encadré

Kani Bicaba, Personnalité de l’année 2024, catégorie agriculture 

L’homme qui nourrit les Burkinabè. Il ne serait pas superflu de qualifier ce grand producteur de semences de la sorte. De 7 hectares en 1983, l’année où il a décidé de prendre le flambeau de son père, il est passé à 358 hectares en 2023. En quarante ans, il a pu multiplier au moins 50 fois cet espace. Pour l’année 2024 particulièrement, il a augmenté sa surface culturale personnelle de 252 hectares, auxquels il faut ajouter 300 autres hectares où il travaille en coproduction. Il est attendu dans ses magasins, au moins 1 000 tonnes de maïs, 300 tonnes de petit mil, plus de 200 tonnes de sorgho, 44 tonnes d’arachides…. Il est aussi un gros producteur de niébé, du coton, de sésame, de soja, de riz. Toutes ses activités sont concentrées dans la Boucle du Mouhoun (Ouarkoye) où il emploie une centaine de permanents et des milliers de saisonniers, dont une bonne partie de personnes déplacées internes (PDI). C’est grâce aux semences sorties de ses différents champs que les autres producteurs à travers le pays arrivent à produire et à nourrir les Burkinabè avec les différentes spéculations. Kani Bicaba, pour votre contribution exceptionnelle à la production agricole au cours de l’année et à l’atteinte de la sécurité alimentaire au Burkina Faso, L’Economiste du Faso vous a désigné « Personnalité de l’année 2024 », dans le secteur agricole.

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