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Aux origines de Boko Haram, le Nigeria, un Etat à la dérive

Boko Haram, auteur d’innommables exactions au Nigeria et ailleurs, est souvent perçu comme un ennemi de plus à combattre dans la soi-disant «guerre contre le terrorisme». Après avoir proclamé son califat, la secte a déclaré vouloir renverser le régime. Pourtant, voir dans ce mouvement une simple organisation terroriste ne suffit pas.

Une victoire militaire ne permettra pas d’en finir. Le Nigeria est tout sauf un Etat-nation. Ce pays est coupé en deux entre un Sud, animiste ou chrétien, riche de son pétrole, et un Nord, musulman, déshérité, très pauvre. Ce nord n’a jamais vu les retombées du pétrole. Boko Haram est en partie le produit d’une mauvaise gouvernance dont sont responsables les dirigeants corrompus de cette fédération.
Boko Haram, fondé en 2002 par Mohamed Youssouf, n’avait jamais prétendu vouloir chasser le Gouvernement. Instaurer la charia lui suffisait. C’est en 2009 que le mouvement se radicalise à la suite d’une répression policière infâme. Un jour, à Bauchi, comme il est interdit de circuler à motocyclette sans casque, des policiers tirent sur les contrevenants, les blessent, en tuent…
Boko Haram proteste et s’en prend à la police. Celle-ci réplique: 700 personnes sont tuées, membres de la secte ou non.
Quand Mohamed Youssouf est capturé, il est exécuté devant une foule de spectateurs, spécialement rassemblés. Ce crime aurait compté pour beaucoup dans la transformation du mouvement en une organisation terroriste d’une brutalité extrême. Ces cinq dernières années, Boko Haram a kidnappé des centaines de personnes, en a tué des milliers, chassé de chez eux un million de Nigérians. Sommées d’agir, les forces de sécurité n’ont pas pu sécuriser le pays; pire, elles se sont rendues coupables d’atrocités à l’endroit de ses habitants. Ainsi, à Baga, fin 2013, à la suite d’un accrochage avec Boko Haram, les soldats exécutent des centaines de personnes et incendient 2.000 maisons. La corruption généralisée, une discipline inexistante, la faiblesse de l’encadrement, rendent l’armée incapable de rétablir l’ordre, une armée d’ailleurs mal équipée, à la logistique défaillante, qui manque de véhicules, souvent de carburant. Dotée d’un budget de 6 milliards de dollars, théoriquement la plus puissante d’Afrique noire, cette force est inexistante sur le terrain, même le sien.

Illustration-tribuneUn clivage économique et religieux
Le Nigeria est divisé entre un Nord musulman et un Sud chrétien. Au sud, la croissance est relativement forte, les investissements ne manquent pas, les services publics, enseignement et santé, en dépit d’insuffisances, ne se comparent pas avec ceux du nord. Celui-ci, non seulement, est dramatiquement pauvre, mais il est sous-administré par de rares proconsuls, essentiellement soucieux de s’enrichir. A 70%, les adolescents de l’Etat du Borno, là où Boko Haram prédomine, sont illettrés; 10% seulement des enfants sont vaccinés. Au nord, pas d’investissements; médecins, enseignants, fonctionnaires évitent d’y être nommés ou le fuient.
Pour lutter contre cette disparité, le Nigeria alternait l’origine de ses présidents. Un nordiste succédait à un sudiste. En 2009, la tradition est rompue. Le sudiste Goodluck Jonathan, qui a remplacé son prédécesseur, mort avant la fin de son mandat, n’entend pas lâcher le pouvoir.
Il veut se présenter cette année, même si ce n’est plus à un sudiste de diriger le pays. Une victoire de Goodluck serait ressentie au nord comme une injustice. L’homme, qui disposerait de 20 milliards de dollars pour sa campagne, n’est pas populaire. Il a scandalisé le pays quand, en avril 2014, il a mis trois semaines avant de paraître se préoccuper des 200 jeunes filles enlevées à Chibok. Ce président a ensuite attendu trois mois pour se manifester auprès des familles concernées.
Evidemment, une victoire du candidat nordiste, l’ancien président Muhammadu Buhari, même reportée au 28 mars, atténuerait le sentiment de marginalisation au sein de la population. Mais avec un million de personnes déplacées dont bon nombre d’électeurs, le résultat n’est pas garanti. Buhari serait-il élu, le problème n’en serait pas résolu pour autant. La gouvernance, le manque de personnels compétents, la corruption, tout cela ne s’améliorerait pas d’un coup. Nonobstant les milliards que lui rapporte son pétrole, le Nigeria ne s’enrichit pas, a fortiori quand le cours du brut s’effondre. La proportion de ses habitants vivant au-dessous du seuil de pauvreté a grimpé de 54% en 2004 à 61% en 2010.
Tout se passe comme si les élites dirigeantes, au nord comme au sud, n’étaient pas conscientes des difficultés du pays. Bien qu’il faille en finir avec les distorsions entre le Nord et le Sud, aucun politicien d’envergure ne paraît en mesure d’imposer pareil programme. Les partis semblent conçus pour s’approprier les revenus pétroliers, non pour améliorer la vie des citoyens.
Chacun se dit confiant dans la capacité du pouvoir à vaincre Boko Haram sans aide extérieure. Mais le gouvernement, impuissant, n’agit pas. Le récent sommet régional (Tchad, Niger, Cameroun, Bénin, Nigeria) s’est tenu le 20 janvier à Niamey sans que le gouvernement nigérian soit représenté. Le Tchad a dû attendre des semaines le feu vert d’Abuja pour franchir la frontière et attaquer Boko Haram que l’armée nigériane, qui «ne combat plus», laisse agir impunément. A moins que la grande offensive décidée le 7 février par le pouvoir obtienne enfin des résultats suffisants pour que l’élection présidentielle puisse se tenir dans le calme. L’hypothèse est fragile.
Devant les horreurs perpétrées au Nigeria et ailleurs, les pays voisins ont décidé d’agir. Cela est bien. Des spécialistes français du renseignement coordonnent les reconnaissances aériennes pour orienter les poursuites et prévenir les méfaits de Boko Haram. Une aide logistique est prodiguée. L’Onu va être sollicitée pour assurer le financement. L’appui des Etats-Unis est possible sous réserve que les autorités nigérianes le leur demandent.
Boko Haram sera vaincue. Elle suscite trop d’hostilité pour ne pas succomber sous le nombre de ses ennemis. Il restera à faire du Nigeria un véritable Etat. L’entreprise est immense mais les talents ne manquent pas dans ce pays de 175 millions d’habitants. Un homme comme Wole Soyinka, prix Nobel de littérature, est en colère.
«Humilié par son propre Gouvernement», il utilise, comme il le dit, «le pouvoir des mots» et il «collabore avec des forces politiques pour les encourager à réformer».
A nouveau, le continent africain est le siège d’un conflit sanglant mais qui n’est pas ordinaire. Il faudra autre chose que «le pouvoir des mots» pour le régler. Le Nigeria va devoir trouver en son sein des hommes compétents, forts et désintéressés, pour mener à bien les réformes qui s’imposent, en même temps qu’il devra consentir à être aidé de l’extérieur. Faute de quoi, les infortunés Nigérians devront encore payer pour l’inconsistance de leurs dirigeants.

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