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De la bouillie au petit déjeuner: les 30 ans d’expérience d’Awa Tiendrébéogo

• Son entreprise compte 6 employés

• Une spécialisation pour le petit mil et  le sorgho rouge

• « Quand on opte de ne fournir qu’un produit de qualité… »

Awa Tiendrébéogo souffle un peu chaque jour vers 10h, au moment où ses derniers clients du matin ne se bousculent plus. (YS)

10h, le mardi 08 novembre 2022, sur la route nationale n°22.  En attente de ses derniers clients qui ne se bousculent plus à cette heure de la journée, Awa Tiendrébéogo avoue : «C’est ma période de repos de tous les jours».  Adossée au kiosque de son hangar, avec des paupières clignotant, cette femme de 46 ans peinait d’ailleurs à racler le fond de ses plats pour ceux qui sont intéressés par sa bouillie.  Elle est debout depuis 3h du matin, et c’est à cela que ressemble son quotidien depuis près de trois décennies.

Par manque de moyens, la petite Awa a été retirée de l’école par ses parents et confiée à la grande sœur de sa mère au centre-ville de Ouagadougou, au début des années 90. Elle devient alors son assistante dans sa principale activité : la vente de bouillie de mil.  Pendant près de dix (10) ans, elle apprendra à trier les impuretés du mil, à faire des grumeaux, effectuer le dosage de l’eau, vendre la bouillie…. Après son mariage, et pour soutenir son époux dans les charges du foyer, elle se résout à continuer la seule activité qu’elle sait faire de ses 10 doigts jusque-là.

À partir de 1998, munie d’un canari en terre cuite et de trois (03) plats de mil, elle s’installe à Kossoghin, dans l’actuel Arrondissement 4 de Ouagadougou, sur un petit espace au bord de la route nationale n°22. A l’époque, la zone n’était pas habitée et la voie au bord de laquelle son commerce a pris ses quartiers n’était pas encore bitumée. Le trafic routier soulevait constamment la poussière, et pendant la saison pluvieuse, l’herbe et les eaux de ruissellement rendaient les lieux infects.  « Les clients me répétaient que c’est la qualité de la bouillie qui les emmenaient chez moi, sinon la poussière et la boue étaient insupportables », se rappelle-t-elle.

A l’heure de pic, il faut souvent utiliser les coudes pour se faire servir. (YS)

Les années se sont écoulées et aujourd’hui, l’activité d’Awa a complètement changé de visage. Son entreprise est forte de six (06) personnes. Au seul homme de l’équipe revient la corvée eau et la liaison entre le moulin et les femmes.  Les autres membres sont commis aux autres tâches : trier le mil, faire de grumeaux, veiller à la cuisson, conditionner la bouillie dans les sachets, procéder à la vente. Toute l’équipe arrive à transformer quotidiennement 40 plats de céréales, soit la contenance d’un sac de 100 kg en bouillie, avec  une spécialisation pour le petit mil et  le sorgho rouge. Les matières premières désormais utilisées sont : le mil,  le sorgho rouge, le gaz, les feuilles de tamarin, le sucre, du lait concentré sucré, l’eau, l’emballage sachet,….

  Pourquoi uniquement de la bouillie de petit mil et du sorgho rouge et pas pour d’autres céréales ? « Avec le maïs et le sorgho blanc, il faut non seulement les décortiquer pour avoir un bon rendu en bouillie, mais cela diminue la valeur nutritive du produit final. Avec le petit mil et le sorgho rouge, il suffit de trier les impuretés, mouiller les grains et les passer au moulin pour avoir une bonne bouillie avec une excellente qualité nutritive », explique  Awa.   

Dans la planification des tâches, la journée de 24h est divisée en trois parties pendant les six  premiers jours de la semaine : de 03h30 à 10h pour la préparation et la vente du matin ; de 10h à 15h30 pour la préparation de l’après-midi et de 16h à 20h pour la vente du soir. Seul dimanche est jour de repos.  Awa est au début et à la fin du processus. C’est elle qui donne le ton dès l’aube et la dernière à lever l’ancre, après avoir servi le dernier client.  Pendant le mois de ramadan, le rythme de travail change complètement. Le travail va en continue de 03h à 18h chaque jour, pendant le mois, pour satisfaire les clients ordinaires et les commandes. Les femmes transforment deux (02)  sacs de mil  en moyenne et utilisent environ 4 m3 d’eau pour la circonstance.  Ce travail, pourtant, ne profite pas tellement aux travailleurs, selon la cheffe d’équipe: « Certaines viennent payer avec des thermos pour aller revendre. D’autres prennent ce que nous conditionnons à 100 F pour revendre à 125 ou 150 FCFA… ils gagnent mieux que nous, comme ils n’ont pas notre expertise, nous avons aussi ce qui doit nous revenir ».

En termes de chiffres d’affaires, elle jure, la main sur le cœur, qu’elle n’en sait rien, au regard de son mode de gestion. « On dépense en même temps qu’on encaisse, donc c’est difficile de déterminer le gain journalier ou mensuel», affirme-t-elle. Ajoutant au passage que : « Quand on opte de ne fournir qu’un produit de qualité à ses clients, on est plus préoccupé par ce qu’on investit que par ce qu’on gagne, et cela réduit la marge bénéficiaire. La fidélisation des clients me  permet de subvenir à mes besoins, mais ne fait pas encore de moi une millionnaire ». Seule une évaluation de ses besoins permet d’avoir une idée de son affaire : 1 sac de mil à 40.500 F CFA, 1 sac de 30.500 F CFA, 1 sac de sucre à 31.000 F CFA, 8 barriques d’eau à 4.000  FCFA,  un carton de lait concentré sucré à 28.000 FCFA…. 

En trente années d’activités, Awa Tiendrébéogo n’a pas encore bénéficié d’une formation, ni en gestion d’entreprise, ni en conservation ou transformation de céréales. Elle gère donc son affaire dans la limite de ses moyens.  « Des gens me demandent de charger la bouillie chaque soir dans un taxi moto et fixer des heures de passage à Toécin, Larlé, Nonsin, Bissighin…des quartiers qui sont souvent à 10km de là où je suis, pour les rapprocher de leur produit préféré, mais je n’arrive pas à les satisfaire, faute  de personnel », indique-t-elle, pour expliquer ce qui peut paraitre comme un manque d’ambitions. 

Martin SAMA

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