Par Abdoulaye TAO pour L’Economiste du Faso
Quartier périphérique nord de Ouagadougou, Tampouy ; c’est là que nous avons retrouvé la fondatrice du centre Adaja, Elisabeth Delma. La soixantaine bien sonnée, cette dame est une figure incontournable dans la promotion et le développement du Faso Dan Fani (cotonnade traditionnelle) au Burkina Faso, malgré sa grande discrétion et cette pudeur à parler de son œuvre.
Cela fait plus de quarante ans que cette mère de 7 enfants a décidé de mettre ses connaissances de tisseuse au service de la communauté, et surtout de la couche la plus vulnérable de celle-ci : les femmes des ménages pauvres.
«Au début, je tissais toute seule, et le peu que je gagnais, je le partageais avec les femmes du voisinage qui étaient dans le besoin. Et puis, un jour, je me suis dit pourquoi ne pas apprendre ce métier à ces femmes qui sont dans le besoin afin qu’elles puissent se faire un peu d’argent également».
Ainsi naquit le centre Adaja (vie ornée en Hebreu). Mais ce ne fut pas facile, explique dame Delma. «Il y a avait de la réticence et il fallait beaucoup de patience pour convaincre les premières apprenantes à se jeter à l’eau pour apprendre le métier de tissage». Et ce sont les revenus issus de la production des premières apprenantes qui vont provoquer le déclic et attirer les autres femmes du quartier.
Depuis cette époque, son atelier ne désemplit pas.Une cohorte de près de 20 apprenantes est désormais à former tous les trois ans. Elle ne sait plus exactement combien de femmes ont été formées dans ses ateliers durant toutes ces années ;et le tout pour pas un sou. La fondatrice du centre se souvient que sous la Révolution de 1984 en Burkina Faso qui avait officialisé le port du Faso Dan Fani, elle en avait formé plusieurs centaines.
En plus de leur apprendre un métier, elle a appuyé certaines d’entre elles à s’installer à leur propre compte. Lors de l’apprentissage, une indemnité leur est consentie sur chaque pagne (entre 700 et 2.500 FCFA ou 1 et 4 euros) et une partie des gains est mise en épargne utilisable à la fin de la formation, pour faciliter leur installation. Ces femmes, aujourd’hui autonomes, sont la fierté de madame Delma: «Grâce à cette activité, nombreuses sont celles qui ont pu s’acheter un lopin de terre, scolariser leurs enfants et développer d’autres activités génératrices de revenus. Tout cela, je l’ai fait parce qu’il faut aimer son prochain et surtout l’aider à se développer quand on le peut. Ce centre, il y avait 40 ans, c’était la brousse. Et il y avait très peu de travail salarié pour les hommes, et l’agriculture n’était qu’un travail saisonnier. Il fallait trouver d’autres moyens de survie pour aider les femmes».
Mais derrière cette misanthropie de dame Delma, se cache un redoutable manager. Il fallait bien trouver un moyen pour continuer d’aider les femmes. Le centre reçoit des commandes d’entreprises ou de couturiers.Ces tisseuses, formées à son école, produisent ; et elle les aide à placer les pagnes tissés sur le marché. D’autres, les tisseuses indépendantes ; une quarantaine selon la gérante du centre, Elienai Diendéré, la fille de la fondatrice du centre ; reçoivent des commandes du centre qui «met à leur disposition la matière première (et souvent le matériel) afin de leur éviter d’avancer de trop grosses sommes d’argent pour ces commandes».Les pagnes ainsi tissés sont rachetés entre 2.500 et 5.000 FCFA (4 et 8 euros) par le centre.
Lors de notre visite, seulement quelques femmes étaient à l’œuvre. Elles travaillaient sur un nouveau type de tissage : des étoffes très fines ressemblant au tissu industriel. Avec ce modèle, on est très loin de la cotonnade traditionnelle connue de tous. Le centre s’adapte donc à la demande du marché. Il s’adapte tout cours. Sous la houlette d’Elienai Delma, le centre s’apprête à changer de visage ; et d’organisation aussi. Mais elle gardera tout de même ses deux objectifs de départ: économique et social pour la femme.
La demande de pagnes tissés devient plus forte, avec de nouvelles exigences techniques. Ainsi, elle se prépare à lancer une collection d’une cinquantaine de pagnes Faso DanFani; une collection d’accessoires fabriqués à partir du Faso DanFani, notamment des sacs, des pochettes, des coiffes, des bijoux, et permettant de compléter la gamme de tissus.
Mais surtout, «le centre souhaite agrandir sa teinturerie afin de produire en grande quantité du fil de coton de couleur, actuellement introuvable au Burkina Faso». Derrière cela, se cache une nouvelle ambition : celle de faire d’Adaja un centre de formation et une entreprise de production et de commercialisation du Faso DanFani reconnue dans toute la sous-région pour la qualité et l’originalité de ses créations.
Pour ce faire, trois projets d’investissement sont en cours, et ils ont tous pour objectif final d’amplifier l’impact social et économique des activités du centre.
Construire et aménager un nouvel espace de production. Cet espace devra avoir la capacité d’accueillir 20 tisseuses, une réserve de stockage et une pièce d’exposition des produits.
Aménager une teinturerie au sein du centre et acheter des métiers à tisser manuels plus innovants ; ces projets ont besoin d’être financés, et les bonnes volontés ne seront pas de trop pour amplifier l’œuvre de cette dame Delmaqui, toute sa vie durant, n’a eu de cesse à conjuguer le verbe aider.
Elienai raconte sa mère
«Au début, elle formait les femmes à la maison et les prenaient totalement en charge. Lorsque les premières apprenantes se sont mises à leur compte, les autres femmes ont vu l’intérêt et sont venues se former. Ma mère, ne pouvant plus les recevoir à la maison, est venue s’installer ici et a construit ces ateliers. C’est le siège du centre. En plus des ateliers, il ya des logements pour accueillir celles qui sont sans domiciles fixes, pendant la formation.
Avec le temps, elle a dû diversifier et s’adapter aux besoins des femmes. Ainsi, elle y a introduit le séchage des fruits tels la tomate et les mangues. En ce qui concerne le tissage, elle ne connaît pas elle-même le nombre de femmes formées. Mais, ce dont on est sûr, c’est qu’au moins 200 femmes sont restées en contact avec le centre et travaillent avec le centre lorsqu’on a des commandes».