A la UneDossier

Société offshore : sur les traces de Bayoure Limited

LE 07 août 2012, Bayoure Limited, société internationale exerçant dans le business, a reçu son certificat d’incorporation par les autorités de la République des Seychelles -avec pour activité principale la gestion de sociétés de sécurité-.

Quelques mois plus tôt, en février, au Burkina Faso s’ouvrait la première Académie de sécurité professionnelle. Ces deux évènements ont un dénominateur commun : leur directeur, Arouna Nikièma, juriste d’affaires de formation.

 

Arouna Nikièma est aussi et surtout le patron de BBS Holding. L’une de ses filiales les plus connues est la société Burval, nombreux sont les Burkinabè qui voient les véhicules de transfert de fonds, estampillés du sigle de l’aigle, dans un cercle jaune, mais pas que.

A son portefeuille, on peut aussi citer BBS first Security, bureau Suretas et la Fondation Arouna Nikièma, Croisement SA en Centrafrique… BBS Holding étant la société mère, est détentrice de la majorité (plus de 50 %) du capital de toutes ses filiales. Pour avoir une idée de grandeur de cette Holding, retenons que ses partenaires officiels sont, entre autres, de grandes entreprises nationales dans le secteur bancaire, du transport et des mines.

 

Bayoure Limited, la société offshore

Une société extraterritoriale ou société offshore est une société enregistrée à l’étranger, dans un pays où le propriétaire n’est pas résident. Mais, à la différence des filiales internationales d’entreprises, ce type de société n’exerce aucune activité économique dans le pays où elle est domiciliée.

L’un des objectifs avec ce type de société est principalement l’optimisation fiscale, ou plus simplement, de « faire en sorte que les bénéfices se déclarent dans le territoire où il y a peu ou pas d’impôt », ce qui permet aux entreprises d’augmenter leur rentabilité ». Conséquence, ces sociétés sont habituellement créées dans des États où la fiscalité est avantageuse, notamment, dans ce que l’on appelle les paradis fiscaux.

Arouna Nikièma a choisi les Seychelles pour sa société offshore. L’avantage étant que cela lui permet d’obtenir un compte bancaire où le bénéficiaire n’apparaît pas directement, et de détenir des biens en dissimulant son identité.

Pour créer une société offshore, l’on fait appel à un prête-nom, un cabinet d’Avocat, cela permet de brouiller les pistes. Le patron de BBS Holding s’est donc attaché les services de la SFM Corporate Services SA basée à Genève, en Suisse, par la signature d’un contrat de fourniture de services administratifs. C’est ce cabinet d’Avocats qui a été chargé de la création et de la gestion de Bayoure Limited. Une fois créée et incorporée officiellement aux Seychelles, Arouna Nikièma a décidé d’ouvrir le compte bancaire rattaché à sa nouvelle société dans une banque chypriote. La Bank of Cyprus a été choisie pour ce faire.

Restait maintenant à alimenter ce compte, c’est-à-dire, à transférer les bénéfices issus des sociétés présentes au Burkina et en Afrique de l’Ouest, vers le compte de la société offshore.

« Je confirme que les fonds qui seront injectés dans cette société proviennent des bénéfices de ma société de sécurité installée au Burkina Faso, Togo, Niger et Côte d’Ivoire. J’ai aussi des actions dans plusieurs sociétés basées en Afrique de l’Ouest », expliquait M. Nikièma, dans une lettre datée du 26 août 2011, une lettre qui a servi à ouvrir le compte en banque. Et pour décrire ses activités, il ajoutera que « Notre société est un leader mon- dial des services liés à la sécurité pour les banques, les détaillants et une variété d’autres clients commerciaux et gouvernementaux en Afrique de l’Ouest. Nos services comprennent le transport par véhicules blindés, le traitement de l’argent, le transport longue distance d’objets de valeur, la sécurité incendie, les agents de sécurité. Nous employons environ 2.000 personnes qui servent des clients dans plus de 8 pays », précise Arouna Nikièma, dans les documents.

Le montant des fonds qui seront injectés est aussi renseigné. Chiffre d’affaires annuel attendu, 1 million d’euros, soient

650 millions FCFA pour 2012, date de création officielle de la société, 1,524 mil- lions d’euros pour la deuxième année et 1,750 millions d’euros pour la 3e année d’existence, à savoir 2014.

Jusque-là, rien d’illégal. Le hic, Bayoure Limited n’existe pas dans le répertoire du Centre de formalités des entreprises (CEFORE), passage unique pour les entreprises qui doivent accomplir les formalités administratives au Burkina Faso. Suite à notre demande d’information, la Maison de l’entreprise, par lettre datée du 26 mai 2021, déclarait qu’à la « suite des recherches effectuées par nos services techniques, Bayoure Limited n’est pas enregistrée dans la base de don- nées CEFORE ». Cela signifie que l’Etat burkinabè ne peut pas imposer les bénéfices de cette société. C’est le but du jeu. Ainsi, les comptes de cette société sont renfloués par les bénéfices des sociétés du Groupe, une sorte d’évasion fiscale, un montage financier lui permettant de payer moins d’impôts au pays.

Avec cette somme, l’on pourrait réaliser rien qu’au Burkina Faso, la construction de 14 écoles composées d’un bâtiment de 3 salles de classes.

Autre comparaison, pour mesurer l’ampleur des montants en jeu, en avril

2012, l’Union européenne a octroyé la même somme au Burkina (650 millions FCFA), afin de soutenir les efforts du gouvernement pour lutter contre la crise alimentaire qui sévissait dans le pays. Dernier exemple, le 4e Fonds d’études et de renforcement des capacités (FERC), signé le 5 juillet 2016 entre le ministère de l’Economie burkinabè et l’Agence française de développement, consistait à mettre à la disposition du pays, 650 millions FCFA, afin d’améliorer l’élaboration des projets et programmes de développement.

 

La réaction de Arouna Nikièma, patron de BBS Holding

Avez-vous créé la société Bayoure Limited basée aux Seychelles ? La question lui a été posée le 29 septembre 2021, au téléphone. « En réalité, c’est depuis 2012, nous étions avec des amis, et on a décidé d’essayer. Nous avons fait ça sur le net. Je ne me suis jamais rendu là-bas. Tout s’est fait sur Internet. C’est par la suite que j’ai reçu un courrier me demandant le renouvellement. Je tiens à préciser que je n’ai jamais utilisé cette société. La société n’a jamais reçu de l’argent, je ne l’ai pas utilisé et donc c’est pour cela que je ne l’ai jamais déclaré au fisc burkinabè », a déclaré Arouna Nikièma. Sur ses relations avec le fisc burkinabè, la question lui a été également posée. Et c’est sans détour qu’il affirme être à jour de ses impôts. « En tant qu’entreprise légale, nous payons normalement nos impôts et je peux vous dire que nous sommes déclarés ». Des incohérences existent cependant, entre la déclaration de M. Nikièma et les documents que nous avons pu consulter. Il s’agit en premier de la date.

Si le certificat d’incorporation de Bayoure Limited a été obtenu en 2012, les démarches pour sa création datent de 2011. En témoigne pour cela la lettre de confirmation de l’origine des fonds qui devront alimenter ladite société aux Seychelles, datée d’août 2011.

Arouna Nikièma affirme aussi n’avoir jamais alimenté la société ni l’avoir utilisée. L’un des documents montre des fac- tures pour le renouvellement de la gestion de la société par le cabinet d’Avocat SFM. La dernière date de 3 ans, après la création de Bayoure Limited. Cette facture de 1.420 euros pour la période allant d’août 2014 à juillet 2015.

Ce qui nous pousse à croire que la société était toujours active à la date de cette facture. Qui payait la facture pour le renouvellement de la gestion de Bayoure Limited jusqu’en 2015 ?

 

Joel BOUDA et Yacine SIDIBE en collaboration avec CENOZO et ICIJ

Pandora Papers

https://www.bendre.bf/societe-offshore-sur-les-traces-de-bayoure-limited/

Encadré

Les Pandora papers

DES millions de documents ayant fait l’objet de fuites et le plus grand partenariat journalistique de l’histoire ont permis de découvrir les secrets financiers de 35 dirigeants mondiaux actuels et anciens, de plus de 330 fonctionnaires dans plus de 90 pays et territoires. Ces documents secrets sont connus sous le nom de «Pandora Papers».

Le Consortium international des journalistes d’investigation a obtenu 11,9 millions de dossiers confidentiels et a dirigé une équipe de plus de 600 journalistes de

150 médias qui a passé deux ans à les examiner, à rechercher des sources et à fouiller dans des dossiers judiciaires et d’autres documents publics provenant de dizaines de pays.

Les documents divulgués proviennent de 14 sociétés de services offshore du monde entier qui ont créé des sociétés fictives pour des clients cherchant souvent à maintenir leurs activités financières dans l’ombre. Les dossiers contiennent des informations sur les transactions offshores de près de 3 fois plus de dirigeants actuels et anciens de pays et de plus de 2 fois plus d’agents publics actuels et anciens que toute autre fuite de documents provenant de paradis offshore.

Les conclusions de l’ICIJ et de ses partenaires médiatiques mettent en lumière la profondeur de l’infiltration de la finance secrète dans la politique mondiale et expliquent pourquoi les gouvernements et les organisations internationales n’ont guère réussi à mettre fin aux abus financiers offshore.

L’enquête sur les Pandora Papers est plus vaste et plus globale que l’enquête historique de l’ICIJ sur les Panama Papers, qui a secoué le monde en 2016, suscitant des descentes de police et de nouvelles lois dans des dizaines de pays, ainsi que la chute de premiers ministres en Islande et au Pakistan.

Les Panama Papers provenaient des dossiers d’un seul prestataire de services offshore : le cabinet d’avocats panaméen Mossack Fonseca. Les «Pandora Papers» mettent en lumière un échantillon beaucoup plus large d’avocats, d’intermédiaires et d’intermédiaires qui sont au cœur de l’industrie offshore. Au total, les nouvelles fuites révèlent les véritables propriétaires de plus de 29.000 sociétés offshores. Ces propriétaires sont originaires de plus de 200 pays, les plus gros contingents provenant de Russie, du Royaume-Uni, d’Argentine, de Chine et du Brésil.

Les Pandora Papers sont le fruit d’une collaboration mondiale entre L’Economiste du Faso et l’organisation à but non lucratif International Consortium of Investigative Journalists.

 

 

 

 

 

Commentaires

Articles similaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Voir Aussi
Fermer
Bouton retour en haut de la page