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Soutien à la filière karité: l’aide danoise, deux poids deux mesures ?

• Le Fonds Danida pour améliorer la qualité et la quantité

• AAK détient le monopole à l’exportation

• Une concurrence directe aux PME locales

En juin 2021, le ministre de l’Agriculture, à l’époque, Salifou Ouédraogo, a présidé l’atelier de clôture du Programme de croissance économique dans le secteur agricole (PCESA). Fruit de la coopération entre le Burkina Faso et le Royaume du Danemark, le Programme, soutenu par Danida, a injecté plus de 45 milliards de francs CFA, en soutenant plusieurs filières, dont le karité.

Concomitamment avec ce fonds, le Royaume du Danemark a signé avec le Burkina Faso, un partenariat direct au profit de la promotion de la filière. Cette aide a été matérialisée par la société AAK qui s’est engagée à garantir un marché équitable à toutes les organisations ayant respecté les normes de production, une sorte de garant de la qualité de la production.

S’agit-il de deux poids deux mesures ? D’un côté, il y a le volet renforcement des capacités des PME-PMI, afin d’améliorer la production et la qualité dans la filière karité, et de l’autre, l’implantation d’une société danoise au Burkina Faso, avec pour objectif d’exporter la production locale. A quel point la société AAK exerce un monopole dans le secteur du karité, et qu’en est-il des PME locales ?

Le système Kolo Nafaso

Selon la balance commerciale du pays en 2019 et 2020, le Danemark est la principale destination d’amandes de karité made in Burkina. La part exportée représentait 47,2% de la production nationale en 2019 et est passée, en 2020, à 60%. En termes de volume, cette vente a rapporté plus de 15 milliards  FCFA en 2020. La société AAK étant la principale entreprise d’exportation  d’amandes de karité, une grosse part de ces recettes d’exportation lui revient assurément, tout comme les recettes issues de l’exportation de l’or reviennent majoritairement aux sociétés minières.

Pour y parvenir, la société a mis en place une politique qui lui permet d’augmenter la qualité et la quantité des noix de karité en provenance du Burkina Faso. Elle a établi un modèle basé sur la RSE, afin d’organiser des groupes de femmes. Mis en place à partir de 2013, dès la signature du PPP entre le Royaume du Danemark et le Burkina Faso. Il est intitulé Kolo Nafaso. La première étape a consisté à travailler avec les récoltants (pour la plupart des petits exploitants agricoles) directement, plutôt que par l’intermédiaire de revendeurs. AAK a recruté des femmes dans le programme et a engagé des représentants locaux, ou «agents de vulgarisation».

Les agents de vulgarisation ont appris aux femmes une technique plus sûre et plus rapide pour traiter les amandes de karité.

En 2016, AAK a commencé à former les femmes à la construction et à l’utilisation de réchauds à fusée, nécessitant jusqu’à 65 % de bois en moins que le réchaud traditionnel à trois pierres. La dernière partie du process a été de proposer un nouveau modèle de paiement dans lequel les récoltants étaient réunis en groupes, et chaque membre s’engageait à livrer un certain volume d’amandes de karité pour la saison. Sur la base de sa promesse, chaque femme recevait une partie de ses futurs revenus à titre de prépaiement.

Où est le bénéfice de tout cela ?

Le modèle d’AAK, qui repose sur le projet Kolo Nafaso, a été étudié. Parmi les recherches, celle d’Amitava Chattopadhyay, qui est la responsable marketing de la société L’Oréal – Innovation and Creativity at INSEAD, a retenu l’attention. Selon elle, AAK a bénéficié d’un produit de meilleure qualité et d’une chaîne d’approvisionnement plus fiable, grâce au projet.

En outre, AAK a été en mesure de solidifier les relations avec des clients de premier ordre. C’est le cas, par exemple, en 2017, avec le confiseur suédois Cloetta, qui a signé un accord pour s’approvisionner en beurre de karité, exclusivement auprès d’AAK. Plus tard, cette année-là, le partenariat avec Kolo Nafaso a été placé en bonne place dans le rapport annuel, le site web et les documents de presse de Cloetta. Beiersdorf, la multinationale allemande, propriétaire de NIVEA, et d’autres marques populaires de soins personnels ont rejoint le programme de partenariat pour le développement durable d’AAK.

Des griefs contre AAK

Après la récolte des fruits, vient une autre étape, aussi ardue que la précédente. Il faut rincer les fruits, les débarrasser de toute la peau et des restes de chair autour, afin d’obtenir au final une noix de couleur marron et lisse. (DR)

Si tout est assez bénéfique pour la société, Amitava Chattopadhyay, dans sa recherche, explique qu’« au-delà de la suppression des intermédiaires, Kolo Nafaso n’a pas apporté d’avantages financiers directs aux participants. Leurs marchandises étaient soumises aux taux en vigueur sur le marché ».

De plus, certains acteurs de la Table filière karité ne sont pas contents. Et pas des moindres. Adja Maïmouna Velegda fait partie de ceux qui se sentent trahis par la société AAK. Dans son bureau, sis à Sankar yaaré, ce soir du 19 octobre 2022, elle n’hésite pas à fustiger ces multinationales qui leur coupent l’herbe sous les pieds. « Je travaillais avec cette société. Au début, j’étais leur point focal. Avec ce travail, je payais des employés et je faisais vivre l’économie autour du karité. Puis un jour, ils sont arrivés, ils ont décidé de rentrer dans les villages pour organiser des coopératives qui allaient leur livrer directement les amandes. Nous avons vu comment cela s’est terminé. Ils ont distribué des bassines aux femmes, quelques marmites, mais cela n’est pas allé plus loin. Nous sommes devenus des concurrents sur le marché du karité, si je peux le dire ainsi, puisqu’ils ont quasiment le monopole sur notre produit. L’Etat leur a attribué un terrain dans la capitale économique du pays, sur la route de Banfora, pour qu’ils s’installent, mais depuis, on ne parle plus de transformation de notre beurre ».

L’arbre à karité: l’or vert du Burkina. (DR)

L’autre grief qu’elle adresse est à l’endroit des projets et programmes engagés dans la filière karité. « S’ils soutenaient vraiment les femmes, maintenant, on ne parlerait plus de barattage à la main, par exemple, le genre de geste que j’ai appris de ma mère. Nous devrions parler d’unité mécanisée et d’exportation de beurre de karité. Hélas, ils disent soutenir les femmes, mais des chefs d’entreprises comme moi ne les intéressent pas. Ils préfèrent aller dépenser peu et gagner plus chez celles qui ne sont pas assez organisées ».

Le meilleur exemple pour corroborer les affirmations de Mme Velegda se trouve au niveau de la coopérative Nununa. Dirigée par Adja Salia, cette association emploie 26 personnes et compte 6.000 membres implantés dans 8 Communes, dans la Sissili et le Ziro. Au cours d’une interview qu’elle nous a accordée, le 9 octobre 2022, dans l’après-midi, la présidente revient sur la production de beurre de karité de sa coopérative. « Cette année, nous prévoyons traiter 600 tonnes de beurre de karité bio ». Le prix du kg de beurre bio vendu par ses femmes est encore plus cher. Il faut compter entre 4.500 et 5.000 FCFA sur le marché local.

Autres constats sur le terrain…

Région du Centre-Ouest, zone de couverture du projet Kolo Nafaso de la société AAK. Nous sommes dans la ville de Léo. Dans la province de la Sissili, à plus de 160 km de la capitale politique du Burkina Faso, Ouagadougou. Ce 8 octobre 2022, nous sommes dans le village de Biniou, Commune de Nievry, à la rencontre de Taonsa Sadia, présidente de la coopération simplifiée, Association Song-Taaba (NDLR : entraide).

Elle nous explique ses débuts de journée au moment de la récolte des amandes de karité.  Celle-ci débute entre mai et août. Les femmes sont à l’œuvre à 4h du matin. Il fait encore noir et la brousse en cette saison pluvieuse est encore plus dense, sombre et mystérieuse. Les tiges de mil, petit mil, sorgho et maïs côtoient les champs de sésame, d’arachide et de manioc. L’air est frais, les oiseaux ne chantent pas encore et tout est silencieux. Un silence rythmé par les pas de ces récolteuses. Portée par ses tongs défraîchis, torche en main et sceau usagé dans l’autre, la voilà parée pour sa tâche. « Il faut se lever tôt pour devancer les animaux, si l’on traine, on ne récoltera rien », affirme-t-elle, avant d’expliquer que les noix qui tombent du karité sont prisés par les bêtes.

Pour ces femmes de la coopérative, c’est une course contre la montre qui s’engage pendant la saison de récolte des fruits qui tombent des karités. Pas d’électricité, pas de routes tracées vers les karités, il faut s’armer de courage et affronter la brousse, afin de ramasser les fameuses graines. Ce travail nécessite un œil aiguisé, une solide structure dorsale (NDLR : elles restent courbées ainsi pendant de longues heures et portent des sceaux pleins d’amandes). Elles parcourent ainsi plusieurs champs, de longs kilomètres à pied, avec des kilos de fruits sur le dos. La tâche est rude, mais ne s’arrête pas là.

Après la récolte des fruits, vient une autre étape, aussi ardue que la précédente. Il faut rincer les fruits, les débarrasser de toute la peau et des restes de chair autour, afin d’obtenir au final une noix de couleur marron et lisse. Pour cela, il faut de l’eau, beaucoup d’eau. « Nous n’avons pas de forage d’eau à côté de nos maisons et il est difficile, souvent, de prendre l’eau destinée à l’usage domestique de la maison pour laver nos fruits. C’est pour cela que nous faisons le travail par étape. Nous ramassons les fruits tombés des arbres tous les 3 jours, ainsi, nous avons donc le temps de passer aux autres étapes ». Il s’agit de rincer, sécher, concasser, torréfier. Une fois torréfiés, les femmes ont deux choix. Revendre les amandes torréfiés ou en faire du beurre de karité.

Avez-vous reçu une quelconque aide pour améliorer votre travail ? « Non, rien du tout, nous faisons tout avec les moyens du bord. Grâce à la vente du beurre et des amandes, nous avons pu payer des marmites et des bassines pour l’eau. Mais depuis que nous avons commencé ce métier, nous sommes laissés à nous-mêmes », déplore la présidente de la coopérative.

La vente des amandes, le choix difficile

Son nom est connu dans la ville de Léo. Kiendrébéogo Seni alias (KS) est dans l’achat/vente d’amandes de karité. A la tête de son entreprise Wensongda (NDLR : Dieu est mon soutien), il emploie une quinzaine d’hommes chargés de sillonner les brousses de la province du Ziro, à la recherche d’amandes de karité. Ces amandes, KS peut en convoyer plus de 1.000 tonnes par an dans la capitale Ouagadougou. Justement, c’est au cours de notre interview avec lui qu’un de ses véhicules revient de la brousse, chargé d’amandes. Aussitôt, les jeunes se chargent de descendre la cargaison et d’en vérifier le poids, sac par sac. « Les sacs doivent avoir le même poids, soient 80kg. Nous nous assurons que ce sont de bonnes amandes et que chaque sac fait son poids, avant d’en recoudre le bout et de le charger dans le camion ». Une tâche que ces jeunes effectuent dans la joie. Au total ce jour de 8 octobre, KS a convoyé sur Ouagadougou 400 sacs d’amandes de karité.

Ces amandes ont été achetés bord champs. « Nous les payons 230 FCFA/kg. C’est de l’argent cash, les femmes préfèrent souvent ce moyen, parce qu’elles ont l’argent en main et peuvent préparer la rentrée scolaire de leurs enfants », explique M. Kiendrébéogo.

Une affirmation nuancée par Roamba Mariéta de la coopérative simplifiée de Biniou. « Il est vrai que souvent, on se retrouve avec beaucoup d’amandes et peu d’espaces pour stocker. Avec les récoltes qui arrivent, et le manque de magasin, nous sortons nos amandes. Cela n’est pas de gaité de cœur, puisque ces amandes s’achètent à vil prix. Si nous avions le matériel nécessaire, ainsi que les équipements adaptés, nous vendrions directement du beurre de karité en lieu et place des amandes ».

Dans son étude sur le thème « Etude sur la contribution des PFNL à l’économie nationale : cas de la filière fruit de l’arbre à karité », le chercheur, Boukaré Ouédraogo, affirmait déjà, en 2011, que le métier de collecteur n’était pas rentable. « Les collecteurs sont les acteurs qui, dans leurs activités, se livrent uniquement à la collecte ou au ramassage de l’amande de karité. Au regard de l’importance relative des volumes exportés d’amandes de karité par rapport à ceux du beurre de karité et aussi des coûts fixes liés à une activité de transformation, on pourrait effectivement affirmer que les collecteurs purs sont les acteurs les plus nombreux et les plus démunis de cette filière », a-t-il déclaré. Et de poursuivre à la page 35 de son étude que « près de 97% des acteurs de cette filière font la collecte de la noix de karité, le nombre de transformateurs purs est de 18, sur un total de 617 acteurs, soit un taux de 3% en 2011 ».

Pour preuve, Roamba Mariéta  de la coopérative simplifiée de Biniou affirme vendre la boîte « Yoruba », un plat de 2,5kg, d’amandes de karité à 500 FCFA, contre la même quantité en beure entre 3.500 et 4.000 FCFA. « En tout cas, nous préférons vendre le beurre, c’est vraiment plus rentable pour nous. C’est par manque d’équipements et de magasin que nous vendons souvent nos amandes de karité, nous n’y gagnons presque rien pour la charge de travail que cela nous coûte ». o

ESS

(En collaboration avec Journalism

Fund et CiFAR’s Investigate

West Africa program)

 

Encadré

Un produit prisé à l’international

N’Kâlo, le spécialiste du marché karité à l’international, a, dans son bulletin du mois d’août, donné un aperçu des prix du karité sur le marché de l’exportation. « Les exportations d’amandes de karité se sont faites ces derniers mois entre 400 et 450 USD/tonnes FOB Afrique et les exportations de beurre de karité conventionnel industriel entre 1.300 et 1.350 USD/t », précise le spécialiste dans sa lettre d’information sur le marché du karité, parue le 10 août dernier. 

Déjà, le gap, la différence, se fait sentir. Pour les amandes de karité, le prix est dans la fourchette de ce que les collectrices et les revendeurs du marché de Léo nous ont donné, même s’il s’agit ici d’un prix FOB, c’est-à-dire hors taxe. Mais pour le beurre conventionnel, il y a une différence de près de 3.000 FCFA à l’export. Nos productrices perdent au change. Une fois exportée, le prix du beurre de karité flambe. Selon sa qualité, conventionnelle, bio et ou équitable, il varie entre 17 et 35 euros le kg sur le marché européen, soit entre 11.000 et 22.900 FCFA le kg. 

 

Encadré 1

Le point de vue d’AAK Burkina Faso

Nous avons contacté la société AAK basée au Burkina Faso. Après avoir soumis notre requête à la responsable du programme durable BF IVC/ Approvisionnement et commerce-Approvisionnement en karité-, nous avons reçu un premier retour de mail (le 4 nov. 2022) dans lequel on nous demande le thème de l’article. Par la suite, nous avons transmis nos questions par mail à Carl Ahlgren, Head of Investor Relations & Corporate Communications.

Voici les questions envoyées par mail (le 15 nov. 2022) :

Combien de coopératives ont bénéficié de ce projet ?

Quel montant a été injecté dans la réalisation de ce projet ? Les retombées sont-elles économiquement rentables pour vous ? 

Quels sont les avantages de ce type de partenariat par rapport à la concurrence des autres sociétés ?

Après plusieurs relances, voici le retour : « Comme mentionné ci-dessus, le projet a été lancé en 2009, avec le Burkina Faso comme premier pays du programme Kolo Nafaso. Le programme est toujours actif mais a dû être ralenti en raison de la situation sécuritaire. Le nombre de femmes inscrites fluctue en fonction de la volonté de travailler avec nous et de la situation sécuritaire à laquelle nous sommes confrontés. Dans le dernier rapport, il y avait plus de 115.000 femmes inscrites. Une fois encore, veuillez noter que le financement de la DANIDA ne concernait que le Nigeria ». Son retour est en date du 13 décembre 2022.

 

Filet

Le programme Kolo Nafaso vu du Nigeria

Le Danida Market Development Partnerships (DMDP) du gouvernement danois a versé 9 millions de couronnes danoises à son partenaire canadien Mennonite Economic Development Association (MEDA), en 2019, pour un projet de 4 ans visant à soutenir les collectrices de karité nigérianes, mais le projet a pris fin avant les quatre années prédéterminées.

Nous avons approché une équipe de journalistes du Nigeria et celle-ci a examiné les effets du projet et les raisons de son arrêt en 2020. Voici le résumé de leurs découvertes. (NDRL : l’article entier à découvrir sur notre site Internet)

Les objectifs du projet consistent, notamment, à s’assurer que davantage d’argent est collecté pour les collectrices de karité de l’État d’Oyo, à accroître leurs finances en les mettant en relation avec des acheteurs, à créer divers emplois pour les femmes et à développer les opportunités liées au karité. Le projet a été mené dans le cadre du programme Kolo Nafaso, créé par AAK (anciennement AarhusKarlshamn), et est exécuté par MEDA du Canada, Global Shea Alliance (GSA), et la National Shea Products Association of Nigeria (NASPAN), selon le ministère danois des Affaires étrangères.

Les résultats ont montré que les femmes de la région d’Oyo, la population cible du programme, n’avaient jamais entendu parler du projet AAK. La principale association de beurre de karité d’Oyo n’a pas été informée du projet et n’en a tiré aucun avantage. La question reste cependant posée : qui MEDA et ses collaborateurs ont-ils formé à Oyo ? Quelles collectrices de karité basées à Oyo ont bénéficié du projet pendant cette courte période ?

MEDA a affirmé que 817 femmes leaders avaient été formées en six semaines dans l’État d’Oyo, mais AAK s’est retiré de l’initiative, invoquant des problèmes de sécurité dans l’État d’Oyo.

Lire l’article ici

Elfredah KEVIN/ Nelly KALU/ Lasse SØRENSEN

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